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Médecine 6P : enfin la vraie personnalisation des soins ?

Proposer un traitement sur mesure à chacun d’entre nous, avec pourquoi pas une prise en charge avant même de tomber malades… Voici certaines des ambitions très prometteuses de la "médecine 6P". Une discipline dont les applications sont déjà une réalité, notamment en santé mentale. Yannick Trescos, pharmacien chercheur et patient-expert, décrypte pour nous ces avancées, qui posent tout de même quelques questions éthiques.

La médecine 6P, une évolution ou une révolution ?

Un traitement unique contre une maladie spécifique ? C’est la « médecine curative collective » et c’est ce qui a été appliqué pendant le XXe siècle. Et même si ce modèle est loin d’être révolu, les progrès scientifiques, thérapeutiques, technologiques et numériques de ces dernières décennies révolutionnent désormais cette vision.

Ainsi, l’utilisation des données de santé (Big Data) ou le séquençage du génome humain a permis d’affiner la compréhension de plusieurs pathologies. Et ainsi, de revoir les objectifs thérapeutiques pour chaque patient·e.

En 2000, on parlait de médecine personnalisée. Puis, il a été question de médecine 4P, en 2013, avec Leroy Hood (Institute for Systems Biology – Seattle), puis « 5P », pour aboutir aujourd’hui à la médecine 6P.

Mais alors, que signifie ces « 6P » ?

La médecine 4P, c’est pour :

  • « Personnalisée ». C’est adapter la prise en charge (traitement, soins, etc.) de chaque patient en fonction de ses caractéristiques individuelles. C’est aussi connaître et prendre en compte la prédisposition de chacun à développer certaines maladies, grâce à l’identification de notre profil génétique.
  • « Préventive ». C’est ajuster ses messages de prévention aux spécificités d’une population cible ou à un profil de patient·e spécifique, grâce aux données de santé. Celles-ci permettent de reconnaître les facteurs de risque pour certaines maladies, dans des régions bien identifiées, ou par groupe de population. Le but est d'assurer le bien-être de chacun d’entre nous, à l’avenir.
  • « Prédictive ». C’est proposer le traitement qui nous convient le mieux. C’est aussi nous permettre de connaître les risques que nous développions une ou plusieurs maladies, grâce à la recherche de nos risques génétiques.
  • « Participative ». C’est nous inclure, quand nous sommes malades, aux décisions en lien avec notre santé, nos soins, etc. dans l’objectif d’établir un véritable partenariat de soins.

Le 5ème P, c’est : 

  • « Pertinente » (ou basée sur les « Preuves »). C’est prendre les décisions sur le traitement et les soins à prodiguer à chacun.e, individuellement, en tenant compte de nos habitudes de vie, de notre profil génétique voire même, de notre profession. Le tout en se basant sur la  recherche scientifique. 

Aujourd’hui, le 6ème P correspond à : 

  • « Pluriprofessionnelle » ou « Parcours de soins » ou même « Parcours pluriel ». C’est assurer une coordination des multiples interventions (médicales, sociales, médecine du travail, etc.) quand nous sommes suivis. Notre parcours s’articule alors progressivement, en fonction de notre pathologie et de son évolution.


Sur ce dernier Point, Yannick Trescos préfère parler de « Parcours de vie ».

En effet, ce « patient expert », à l'origine d'un projet de « thérapeutiques digitales en santé mentale spécifiques des traumatismes psychiques », ajoute les paramètres sociaux, économiques et professionnels du malade à l'aspect uniquement médico-social. Selon lui, quand la personne est malade, l'impact sur ses revenus, sur son quotidien professionnel, mais aussi et surtout sur son proche aidant, doit être intégré dans ce parcours. La prise en compte de tous ces aspects est essentielle pour assurer une prise en charge complète d'un·e malade et lui permettre d'avoir une meilleure qualité de vie.

Un patient-expert, qu’est-ce donc ?

Un patient expert est un patient qui a acquis une expertise ayant donné lieu à une validation, une qualification ou une reconnaissance, l’autorisant à exercer des fonctions, réaliser des missions, délivrer des enseignements, assurer différents rôles dans et hors du système de santé ”

Catherine TOURETTE-TURGIS Fondatrice de l'Université des Patients, Directrice du Master Éducation Thérapeutique du Patient UPMC Sorbonne-Universités, Paris. Chercheure au conservatoire des arts et métiers, Paris

La médecine 6P est-elle déjà pratiquée ?

En cancérologie (ou oncologie), la médecine 6P est un vrai synonyme d’espoir. Elle y est appliquée de façon assez précise, grâce à l’utilisation des informations génétiques. En effet, désormais :

  • On sait que la mutation des gènes BRCA1 ou BRCA2 chez la femme, la prédispose à développer certaines formes de cancer du sein et de l’ovaire. 
  • Il est possible de caractériser une tumeur cancéreuse pour choisir le médicament adapté. Ce traitement a ainsi une efficacité personnalisée.

En rhumatologie, il sera bientôt envisageable d’identifier de manière précoce si nous sommes à haut risque de développer une polyarthrite rhumatoïde. La maladie pourrait alors être « évitée » grâce à la mise en place de stratégies préventives, voire vaccinales.

Dans le domaine de la santé mentale, la médecine 6P est également prometteuse, notamment grâce à la « thérapie digitale ». Ces programmes et applications mobiles dédiés au soin sont utilisables par tout un chacun, via son smartphone. Selon Yannick Trescos, les solutions et aides thérapeutiques apportées par ces technologies sont validées cliniquement et apportent un véritable bénéfice sur la qualité de vie de la personne suivie. 
Imaginez, un patient qui souffrirait d’un stress post-traumatique. Et bien, ses symptômes pourront, très prochainement, être tracés sur une application. Sur la base d’une analyse par des algorithmes, ce programme digital pourra lui proposer une aide à la prise en charge, tout en maintenant un contrôle et une décision par son thérapeute.

La médecine 6P est-elle accessible et éthique ?

Bien sûr, l’accès à ce type de médecine pose tout de même question. En effet, elle est uniquement délivrée dans des centres hospitalo-universitaires et donc essentiellement accessibles aux habitants des grandes villes. Par ailleurs, les nouvelles technologies qui permettent sa mise en œuvre ont un coût important. 

En outre, les débats sur l’aspect bioéthique de la médecine 6P amènent à des questionnements multiples : le dépistage d’une maladie génétique chez un enfant qui ne sera réellement malade qu’à la fin de sa vie active, est-ce vraiment nécessaire ? Même si nous acceptons de partager nos données de santé, qui est propriétaire de ces informations ? Comment les utiliser en évitant les dérives ? 

Yannick Trescos insiste sur l'importance de la protection de ces données sensibles sur des serveurs certifiés et sur la mise en place de garanties éthiques pour tous : patients, patientes, et professionnels de santé. L'établissement du Règlement général sur la protection des données (RGPD) peut aider au renforcement de la confiance du public envers les institutions de recherches disposant de leurs données (génétiques, entre autres). Un point essentiel, car cette nouvelle médecine suscite forcément de grands espoirs.