Les mécanismes du harcèlement : éclairage de Myriam Benmoussa
Le harcèlement, c’est quoi ?
Le harcèlement se définit comme une violence répétée qui peut être verbale, physique ou psychologique. Cette violence se retrouve aussi au sein de l’école. Elle est le fait d’un ou de plusieurs élèves à l’encontre d’une victime qui ne peut se défendre.
Il implique trois composants clés :
- Un déséquilibre dans le pouvoir entre le harceleur et la victime. Ce déséquilibre peut être réel ou perçu uniquement par la victime.
- L'agression est menée à bien par un harceleur ou un groupe essayant de blesser la victime de façon intentionnelle.
- Il existe un comportement agressif envers une même victime, produit de façon réitérée.
Les enfants sont confrontés à la violence et au harcèlement à l'école partout dans le monde, un élève sur trois étant victime d'attaques au moins une fois par mois et un sur dix, d'une cyberintimidation. ”
Le plan de prévention du harcèlement et des cyberviolences. L’article R. 421-20 du Code de l’éducation prévoit la mise en place d’un plan de prévention des violences, incluant un programme d’actions contre toutes les formes de harcèlement, dans tous les établissements scolaires.
L’article D. 411-2 du Code de l’éducation prévoit également que le conseil d’école entreprenne des démarches de prévention des violences et du harcèlement. Fondé sur la démarche d’amélioration du climat scolaire, ce programme d’actions constitue un support de travail pour les équipes éducatives dans la création de leur propre plan de prévention.
"Harcèlement scolaire et cyber-harcèlement chez l'enfant" qui sont des termes recherchés sur Google
Pour nous éclairer sur le sujet, nous avons échangé avec Myriam Benmoussa.
Bonjour Myriam, existe-t-il un lien entre la crise sanitaire et les cas de harcèlements de plus en plus fréquents à l’école ?
Oui, tout laisse à croire que cette pandémie influe massivement sur les phénomènes de violence et notamment sur le harcèlement scolaire et le cyber harcèlement (40 % d’augmentation de cyberattaques durant le confinement). Sous menace sanitaire, l’accent a été mis sur les nouvelles visant à réduire la contamination mais force est de constater que ces “gestes barrières” n’empêchent en rien les contacts classiques tels que les différentes formes de jeux, les disputes, les insultes et bien sûr le harcèlement. L’exemple de la mort de la petite Alisha, 14 ans, frappée et noyée dans la Seine en mars dernier par deux élèves de son établissement en est la preuve.
La dernière journée nationale NAS (Non Au Harcèlement) qui s’est tenue sur Zoom en novembre dernier a notamment mis en lumière l’impact de cette rentrée scolaire 2020 « spéciale COVID » sur le harcèlement scolaire. Les enfants semblent finalement poursuivre le schéma « classique » en ces temps de crise : insultes, attaques physiques, rejets, discriminations mais, comme ils sont contraints de rester à domicile, ils peuvent être en plus confrontés à des tensions au seins du couple parental, des problèmes de famille, des problèmes financiers…
Il est important de garder en tête que toute électricité à la maison se traduit chez l’enfant et peut avoir différentes conséquences sur son développement et son comportement. Ainsi, s’il est dans un foyer où il ne retrouve pas la sécurité suffisante ou si son quotidien est trop angoissant, éprouvant ; à l’école, il sera moins concentré. Un élève qui est généralement calme pourra devenir agressif.
Enfin, rester à la maison rime avec plus de temps devant les écrans et notamment les réseaux sociaux. Le harcèlement se joue certes en classe mais il est aussi ardemment présent aujourd’hui sur les réseaux sociaux. Les cas de cyber harcèlement auraient ainsi doublés depuis le premier confinement.
Pouvons-nous dire qu’il existe un profil « type » d’enfant harcelé ?
Non, je ne dirais pas qu’il y a un profil type d’enfant harcelé puisqu’il est avéré au sein de toutes les tranches d’âge, de toutes les conditions sociales, autant dans le public que dans le privé, dans les grandes et petites villes. Pour moi, il s’agirait plutôt de situations où l'enfant ne se défend pas au début, d’un enfant qui a dû mal à dire « non », puis l’effet boule de neige s’enclenche : la relation dérape, et très rapidement il ne peut plus se défaire de sa nouvelle casquette de « victime ». Généralement, la victime a quelque chose en plus que le harceleur souhaite s'approprier, et celui-ci appuie sur les faiblesses de la victime pour lui faire du mal.
La recherche distingue deux catégories de victimes, l’une qualifiée de « passive » et l’autre d’« active ».
- Les victimes passives sont des enfants ou des adolescents timides, solitaires et souvent chétifs quand il s’agit de garçons. Ils témoignent d’un manque de confiance en eux et d’une mauvaise estime d’eux-mêmes. Ils sont des « proies » faciles en particulier pour les agresseurs actifs.
- Les victimes actives, dénommées parfois « provocatrices », agissent comme des architectes de leur statut. Elles semblent tirer de leur situation des bénéfices secondaires. Cette typologie binaire est de plus en plus étudiée. En revanche, il est plus aisé d’établir d’un profil du harceleur qui présente souvent une psychopathologie, notamment celle de l'absence d'empathie.
Cette absence d’empathie explique l’incapacité qu’a l’agresseur de se mettre à la place des autres et à comprendre la souffrance qui peut mener par exemple à des comportements extrêmes comme le passage à l’acte suicidaire. Bien qu'il ne souffre pas forcément toujours d'un trouble mental ou de la personnalité, le harceleur est souvent un enfant qui a été confronté à la violence. On retrouve également beaucoup de profils d’enfants qui se seraient sentis eux-mêmes rabaissés et chercheraient à compenser un gros sentiment d'infériorité.
Quelle est la tranche d’âge où l’on observe davantage de cas de harcèlements ?
Toutes les tranches d’âge sont gravement concernées par le harcèlement.
C’est plutôt les répercussions sur l’enfant en fonction de son âge qui seront différentes. Pour l'UNICEF, un enfant sur deux serait concerné par le harcèlement scolaire dès l'âge de 7 ans. En termes statistiques, la catégorie qui semble être touchée de façon plus importante par ce fléau est celle des classes primaires. Ils seraient ainsi près de 12% à être touchés contre 5,6 % au collège et 4,1 % au lycée.
C’est important il me semble ici, de préciser que le cyberharcèlement représente une nouvelle forme de violence malheureusement trop courante et qui touche quant à elle principalement les plus jeunes. Cela est le reflet notamment de leurs capacités restreintes à régler les conflits de façon positive, de manière à ce que la situation ne dégénère pas.
C’est aussi parce qu’il n’y a pas réellement de tranche d’âge épargnée qu’il est primordial aujourd’hui d’accéder à la prévention dès le plus jeune âge et à la formation pour la cohésion scolaire.
Quand parle-t-on de cyberharcèlement ?
Le cyberharcèlement, c’est la répétition intentionnelle de formes de cyber violence, c’est un acte agressif, complétement intentionnel perpétré au moyen de formes électroniques de communication, de façon répétée, à l’encontre d’une victime qui ne peut facilement se défendre seule dans la durée. Ça peut être le fait d’une ou plusieurs personnes, à l’encontre d’une ou de plusieurs victimes. On retrouve dans le cyberharcèlement finalement les caractéristiques du harcèlement avec un déséquilibre des forces : la victime est soumise de base à une position d’infériorité qui sera cette fois-ci numérique.
Ce cyberharcèlement, est souvent la continuité du harcèlement fait à l'intérieur des établissements scolaires. C’est d’autant plus le cas aujourd’hui avec la crise sanitaire, où, les salles de cours sont actuellement virtuelles sur ZOOM, TEAMS ou SKYPE et où l’utilisation des réseaux sociaux adopte une cible de plus en plus jeune qui « post » de plus en plus. Les victimes peuvent recevoir des messages et appels malveillants, mais aussi être humiliées et diffamées sur leurs réseaux de façon isolée, individuelle ou collective.
Le "flooding" peut être également considéré comme une déclinaison du cyberharcèlement. Cette pratique consiste à inonder de messages, de commentaires ou de publications inutiles, éventuellement dénués de sens, la messagerie ou le mur d’une personne ou d’un groupe de personnes. Elle vise à gêner les échanges entretenus par cette personne ou ce groupe, voire à rendre inutilisables leurs moyens de communication en les saturant.
Les adolescents passent beaucoup de temps devant leurs écrans, à partir de quand faut-il s’inquiéter ?
Il faut s’inquiéter lorsqu’il y a un déséquilibre, un excès entre la vie réelle et la vie virtuelle. Ce qui est primordial c’est qu’il y ait un temps d’alternance, un équilibre suffisamment viable : un temps pour les jeux vidéo, un temps pour le sport, un temps pour les devoirs…etc.
Les parents culpabilisent souvent car ils sont perdus entre les recommandations et la réalité des pratiques d’aujourd’hui.
Le signe d’alerte essentiel est la réduction du temps de sommeil et ses conséquences sur sa vie au quotidien. Par exemple, la baisse des résultats scolaires ou un désintérêt de ses amis, de sa famille doivent préoccuper les parents.
De plus, un enfant qui devient provoquant, agressif, peut vous alerter : Internet offre un champ des possibles, avec de tels sentiments d’exaltation et de toute-puissance que, privé de sa source de satisfaction, l’adolescent peut manifester une forte agressivité.
Le psychiatre Serge Tisseron, membre de l’académie des technologies insiste sur les 3 questions à poser à son enfant pour évaluer l’utilisation des écrans.
- Leur demander s’ils jouent seuls ou avec d’autres ?
- S’ils jouent avec d’autres qu’ils connaissent ?
- Et enfin, s’ils ont une pratique de création ? Est-ce qu’ils réalisent des petits films par exemple ?
Au travers de ces interrogations, l’intérêt est de déceler ceux avec lesquels ils font des allers-retours, des va-et-vient entre le monde numérique et le monde réel, actuel. Si l’enfant par exemple joue seul dans les jeux vidéo, il aura plus tendance à jouer seul dans la cour de récré.
L’OMS a confirmé en 2019 l’existence d’un « gaming disorder », qui n’est qualifié « d’addiction » que lorsque ce trouble conduit à une déscolarisation et une désocialisation complète depuis plus de 12 mois, autrement dit quand la personne reste confinée chez elle et qu’elle a arrêté toutes les activités qui ne sont pas en lien avec les jeux vidéo.
Il ne faut pas non plus diaboliser l’utilisation des écrans ou des réseaux car il y a des choses socialisantes sur les réseaux sociaux. Les thérapies à travers les jeux vidéo montrent de plus en plus leur efficacité et permettent d’éviter toute forme d’addiction aux écrans bien que dans des cas extrêmes, le basculement dans l'addiction aux jeux vidéo peut se produire sous l'effet conjoint de facteurs de vulnérabilité personnelle ou sociale et du caractère particulièrement addictogène de certains jeux. Il faut trouver le bon équilibre !