Rendre les femmes visibles aux yeux du secteur de la santé : ça commence aujourd’hui !
L'objectif ? Faire avancer les mentalités sur le rapport des femmes à la santé… mais aussi sur le rapport du monde de la santé publique aux femmes, pour ne plus la limiter à la "médecine bikini".
En matière de santé, les femmes et les hommes ne sont pas logés à la même enseigne ! Douleurs minimisées voire ignorées, diagnostics mal posés…, la norme reste encore trop souvent le corps masculin. Comment faire bouger les choses ?
Faisons le point avec les experts du sujet : Muriel Salle, historienne de la santé et Dr Gilles Lazimi, ancien membre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.
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C’est un fait. Les femmes vivent plus longtemps que les hommes : 83 ans en moyenne contre 78. On pourrait se réjouir si ce n’est qu’elles passent plus d’années en mauvaise santé !
Aujourd’hui, si l’on ne meurt quasiment plus en accouchant, on meurt davantage de maladies dites "masculines" : infarctus, cancer du poumon, du foie, du pancréas, BPCO… En partie responsable, la médecine sexiste. Car depuis bien longtemps, « le savoir médical s’est construit en prenant comme norme le corps masculin, qui reste "la mesure du monde", dénonce Muriel Salle, maîtresse de conférence à l’université Claude Bernard (Lyon 1). D’une part parce que les personnes produisant historiquement ces savoirs médicaux étaient des hommes, d’autre part parce que la profession médicale a été interdite aux femmes jusque dans les années 1880 en France. »
Les femmes, « sont envisagées par essence comme physiologiquement pathologiques et dysfonctionnantes ».
Biologiquement différentes certes, mais aussi petites natures, faibles et supportant moins bien la douleur que les hommes. Une attention particulière leur a néanmoins été accordée, cantonnée à une fonction essentielle, leur fonction exclusive, à la fois biologique et sociale : mettre des enfants au monde.
Sexe et genre : une façon d’intégrer les déterminants de l’état de santé
Encore aujourd’hui, on pense avant tout la santé en se référant aux hommes, et à la santé des femmes qui relève essentiellement de la "médecine bikini" (sein, ovaires, utérus). Il est encore courant de penser qu’un homme vient se faire soigner quand il a vraiment mal alors que les femmes, avec leur "bobologie", se plaignent trop souvent, quand ce n’est pas dans leur tête !
Tout cela est documenté, on parle même de « syndrome de Yentl » pour décrire cette différence de traitement observable entre les femmes et les hommes dans le cadre de leur prise en charge comme de leur suivi médical. Et l’expression n’est pas nouvelle : elle a été inventée en 1991, par la cardiologue américaine Bernadine Healy.
Les études médicales étant réalisées avec une population à prédominance masculine, les différences physiologiques sont insuffisamment prises en compte. Bien que cela ait évolué ces dernières années, les femmes sont souvent exclues des campagnes de prévention et seulement 33,5% d’entre elles sont intégrées dans les protocoles de recherche clinique, en raison de leurs variations hormonales et des cycles menstruels, qui sont supposés compliquer les choses.
Comment s’étonner ensuite qu’elles souffrent 1,5 fois plus que les hommes d’effets secondaires en avalant des médicaments ?
Les stéréotypes de genre n’ont pas seulement la vie dure. Ils conditionnent les comportements des soignants qui peuvent avoir une écoute et un diagnostic différents selon le sexe des patients. Conséquence, l’inégalité finit par émerger quand l’égalité des chances n’est pas assurée, quand un défaut de diagnostic, d’accès aux soins ou de suivi apparaît en raison même du sexe de la personne.
Ainsi par exemple, 200 femmes meurent chaque jour de maladies cardio-vasculaires...
Déconstruire les stéréotypes
L'objectif de notre dossier sur la Santé des femmes s'inscrit aussi dans une dynamique d’éveil des consciences et de sensibilisation sur ces enjeux de santé publique. « Il est temps de sortir de cet androcentrisme », insiste Muriel Salle, également co-responsable Mission Egalités à l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon : l’idée selon laquelle l’homme est la norme.
Car si les femmes paient un lourd tribut aux maladies cardio-vasculaires, les hommes font eux aussi les frais des inégalités en santé, pour des maladies réputées "féminines" comme l’ostéoporose ou la dépression, moins diagnostiquées chez ces derniers. Une croyance aux conséquences dramatiques : les hommes ayant une dépression ont un taux de décès par suicide 3 à 5 fois supérieur à celui des femmes.
« Si l’on veut l’égalité en santé, il faut commencer par élever nos garçons et nos filles de la même façon », affirme le Dr Gilles Lazimi, médecin généraliste au centre de santé de Romainville. « Faire preuve de pédagogie à la fois auprès du grand public et des professionnels de santé. Apprendre à désapprendre, même si cela ne se fera pas en un jour. Pour casser les stéréotypes, il faut apprendre aux petits garçons à pleurer, aux filles à jouer au foot ou au rugby. À la maison, il faut prôner le partage des tâches dès le plus jeune âge. Faire en sorte que les jeux ou les activités dans les crèches ou à l’école soient les mêmes pour tous. Concrètement, allonger le congé paternité de quelques jours, c’est bien. Mais ce n’est pas suffisant. Pourquoi ce sont le plus souvent les femmes qui cessent de travailler quand leur enfant est malade ?
Dans ma pratique, j’ai dû désapprendre ce que l’on m’avait appris car les discours étaient complètement inadaptés à la réalité. J’ai dû sortir de ma zone de confort, afin d’écouter davantage mes patients, leurs vies et leurs vicissitudes pour les comprendre. J’ai appris à ne pas me contenter des symptômes visibles pour repérer les violences intra-familiales notamment. Comment ? En essayant de me mettre à la place des femmes. En "osant" leur poser certaines questions. Notamment : « avez-vous été victime de violences physiques ? Sexuelles ? Psychologiques ? Avez-vous peur de votre partenaire ? ».
De nombreuses études montrent que le simple fait de leur poser la question aide à libérer la parole, la relation existant avec le médecin se faisant dans la confidentialité et en confiance. S’intéresser à leur vie et aux violences qu’elles subissent, aux conditions dans lesquelles elles vivent, à leur travail, leur charge mentale, c’est déconstruire les stéréotypes sexistes de notre société ! ”
« Il faut continuer de sensibiliser, d’informer grâce à des affiches dans la salle d’attente, des flyers… Entendre leur plainte ne suffit pas, il faut aussi nous remettre en question, en tant qu’homme et lutter pour l’égalité ».
Médecine genrée : essentielle pour les deux sexes
Pour développer l’égalité en santé, « une impulsion est nécessaire. La France a pris un peu de retard sur ses voisins car le premier rapport dédié à la santé des femmes a été publié en 2020. Il faut former le futur corps médical à la médecine genrée, comme on le fait déjà à la faculté de médecine Charité à Berlin en Allemagne, aux Pays-Bas, en Suisse, en Suède, aux Etats-Unis ou au Canada », indique Muriel Salle. Il faudrait voir davantage de femmes à des postes à responsabilité dans la santé et la recherche.
Défendre une médecine plus spécialisée, prenant en compte tous les paramètres du patient : biologiques bien sûr mais également socio-culturels et économiques, ce qui permettrait un diagnostic et des thérapeutiques plus ciblés et donc, une vie en meilleure santé. Mais avant cela, il faut désapprendre les stéréotypes. Car même si aujourd’hui 60% des étudiants en médecine sont des femmes, elles sont pour beaucoup d’entre elles les héritières de savoirs et de pratiques transmis par des hommes. Il faut leur apprendre que « la mesure du monde, c’est l’être humain ». Et les convaincre que finalement, l’homme n’est qu’une femme comme les autres !
Des campagnes de sensibilisation plus musclées
« Genre et santé : attention aux clichés ! » C’était le thème de la campagne de sensibilisation menée par l’INSERM en 2017.
Six vidéos d’une minute mettant les préjugés sur la santé des femmes et des hommes en avant, pour mieux prendre en compte le genre dans la médecine et la recherche. Aux Etats-Unis, certains spots n’hésitent pas à montrer une mère de famille stressée, s’occupant de sa petite tribu avant le départ pour l’école, jonglant entre bols de chocolat et cartables. Une fois les enfants partis, elle s’écroule dans sa cuisine, victime d’un infarctus. Trash ? Non réaliste.
Sensibiliser aux facteurs de risques des maladies cardio-vasculaires, prévenir plutôt que guérir, grâce à une meilleure hygiène de vie, c’est aussi l’objectif de la campagne des Bus du cœur soutenue par AÉSIO mutuelle au mois de septembre. Des bus équipés de centres de dépistage seront déployés dans les quartiers défavorisés des plus grandes villes de France et iront à la rencontre des femmes en situation de précarité sanitaire et sociale.
Rappelons qu’en France, 85% des chefs de famille monoparentales sont des femmes et qu’1 famille sur 3 vit en-dessous du seuil de pauvreté. Prendre soin de soi dans ces conditions étant quasi impossible, cela a un fort impact sur leur santé.
Bouger le curseur pour ces "oubliées de la santé" est une véritable urgence de santé publique. C’est dans cette dynamique d’éveil des consciences et de sensibilisation qu’AÉSIO mutuelle s’est mobilisée avec le magazine féminin Marie Claire pour faire connaître les résultats d’une enquête menée* avec Harris Interactive. Cette étude sur le rapport des femmes à la prévention, la santé et leur perception du cancer vise à mieux identifier les différences et les spécificités hommes femmes ainsi que leurs attentes et besoins en santé aujourd’hui.
* Sondage AÉSIO mutuelle & Harris interactive sur la Santé au féminin, enquête réalisée en ligne du 29 avril au 6 mai 2021. Échantillon de 2.027 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.