Dépendance aux écrans : combattre cette addiction
Aurélien Guihéneuf est hypnothérapeute à Paris. Spécialiste des addictions numériques, il possède une forte expérience du sujet suite à un parcours dans la communication digitale et dans l’animation des réseaux sociaux de nombreux médias, marques et artistes.
Il anime un podcast Douceur Cactus et est l’auteur d’un livre pratique paru en 2021, Vivez mieux avec vos écrans ! qui nous explique comment nous libérer de la dépendance numérique, que nous retrouvons sur son site www.auneuf.fr
La dépendance aux écrans c’est quoi ?
Tout le monde a déjà entendu parler de dépendance à la nourriture ou à l’alcool mais qu’entend-t-on par dépendance aux écrans ?
Aurélien Guihéneuf définit la dépendance comme la « perte de la liberté d’arrêter quelque chose qui nous fait du mal », le fait d’être incapable de cesser de faire quelque chose alors même que nous savons pertinemment que cela est néfaste pour nous (voire aussi pour le monde qui nous entoure).
« Il y a quelques années, on ne considérait pas les écrans comme on les considère maintenant. Quand on parle d’écrans aujourd’hui, on se rapporte aux outils connectés interactifs » (tablettes, ordinateurs, montres connectées, jeux vidéo).
Passer des heures sur les réseaux sociaux ? Avoir toujours le téléphone à portée de main ? Rentrer dans des colères noires parce que nous ne parvenons pas à valider un niveau de notre nouveau jeu vidéo ? Ce sont des comportements que nous pouvons observer très facilement aujourd’hui chez nous comme chez les autres.
Les outils interactifs ont envahi notre quotidien et si certaines personnes savent se limiter dans leur utilisation, les considérant comme des simplificateurs de quotidien, d’autres en font des parties même de leur identité et sont absolument incapables de s’en détacher.
Qu’est-ce qui occasionne cette dépendance ?
Qu’est-ce qui rend logique l’arrivée de cette dépendance aux écrans connectés ? Il existe plusieurs explications à ce phénomène qui se rapportent aussi bien au somatique qu’au psychologique, mais selon Aurélien Guihéneuf, la réponse la plus simple tient en trois paramètres.
- « Les outils sont super faciles d’accès » : qui n’a pas déjà eu un mouvement de panique en ne trouvant pas son portable ? Les objets connectés sont avec nous au quotidien, ils nous accompagnent partout et il nous suffit bien souvent de tendre la main pour les prendre.
- « Les outils sont très rapides » : besoin d’une information ? d’un contenu spécifique ? du profil de quelqu’un ? En quelques clics, nous pouvons bénéficier de millions d’informations gratuites et faciles.
- « Il y a un aspect infini » : le fait d’avoir une infinité de possibilités de nouvelles recherches, de nouveaux posts, de nouveaux niveaux de jeux, entraîne une surenchère d’informations, nous « entrons dans une sorte de tunnel ». Une fois que nous avons pénétré dans le monde des écrans, nous sommes les seuls à pouvoir décider d’en sortir. La fin de notre temps de visionnage repose sur notre unique volonté.
Une demande de dopamine
La dépendance aux écrans peut également s’expliquer du point de vue du cerveau.
Comme dans toutes les formes de dépendance, le cerveau va avoir tendance à s’attacher à des choses qui nous font plaisir. Initialement, il va simplement considérer les écrans comme une source de plaisir ”
À la manière d’une sucrerie, les outils interactifs nous offrent une échappatoire, ils nous apaisent ou nous réconfortent, illuminent un quotidien qui peut être morose et difficile.
Cette sensation, nous pouvons très bien la retrouver en lisant un bon livre, ainsi « initialement cette notion de plaisir est soit neutre soit plutôt saine, mais au bout d’un moment, elle va se mettre à prendre trop de place. Elle va devenir quelque chose d’automatique et dès que nous allons faire face à une période désagréable ou difficile, le cerveau va chercher à rééquilibrer les choses avec de la dopamine, aussi appelée hormone du plaisir », nous explique Aurélien Guihéneuf.
Dès lors, les écrans vont dépasser leur rôle de simples moyens de plaisir pour devenir une nécessité, plus qu’une récompense ils deviennent un besoin, la solution toute trouvée à un mal-être. « Le cerveau va alors enregistrer à la fois le chemin parcouru pour avoir accès à cette source de plaisir et le fait que ce plaisir a été super facile d’accès, très rapide à ressentir et infini. Le plaisir sain qu’on peut éprouver initialement va alors dévier vers quelque chose de moins équilibré et progressivement devenir illusoire, se transformant même en une sorte de déplaisir ».
En effet, la joie et le soulagement vont peu à peu laisser place à de la frustration, celle de ne pas parvenir à achever un niveau, de se comparer à d’autres profils sur les réseaux sociaux, voire à des crises de colère quand l’outil se met à buguer ou est brutalement cassé.
Dès lors, un cercle vicieux s’installe : nous nous tournons vers les outils connectés interactifs pour lutter contre des émotions difficiles et en réponse nous en créons finalement de nouvelles ! « Nous rentrons dans une boucle sans fin. On va alors pouvoir commencer à parler de relation addictive car nous ne parvenons plus à en sortir, bien que nous sachons que ça ne nous est pas forcément utile et bénéfique sur le long terme ».
Des phénomènes psychologiques
Les écrans sont à la fois un contenu et un contenant. Ce sont un contenant, un outil, mais au-delà de l’objet il y a aussi l’aspect contenu, c’est-à-dire tout ce qu’ils vont nous permettre de faire.
En effet, les écrans sont pensés pour instaurer une proximité avec nous, pour répondre à certains besoins psychologiques fondamentaux, comme nous le décrit Aurélien Guihéneuf. « Notre activité sur les réseaux sociaux répond notamment à ce besoin très humain d’être en interaction avec d’autres personnes. Ce ne sont pas seulement des applications qui vont nous permettre d’échanger, mais aussi des applications où nous pouvons partager des avis, des retours et en recevoir, avoir des conversations sur des sujets parfois très intimes avec des gens qui ne le sont pas »
Les réseaux sociaux nous permettent d’avoir accès à un réseau infini, de passer outre la limite de contacts de notre vie quotidienne. Plus de contacts, plus d’échanges, mais aussi plus d’estime de soi.
« Tout ça va nourrir notre besoin d’interaction, mais aussi notre besoin d’appartenance, ce besoin de socialiser et de valider la personne qu’on est dans un cadre social. Le besoin de sentir qu’on est accepté par les personnes qui nous entourent et de se sentir intégré dans des groupes sociaux ».
En effet, il est totalement naturel de ressentir le besoin de se lier aux autres et d’être apprécié par ceux qui nous entourent. Les réseaux sociaux nous permettent non seulement de pouvoir atteindre les autres, mais aussi de leur donner à voir la version de nous-même qui est la plus susceptible de leur plaire. « Au-delà des outils que constituent les réseaux sociaux, ils vont venir parler à des parties de nous qui sont d’ordre psychologique. La sphère intime et la sphère publique vont d’un coup venir se mélanger ».
L’activité que nous exerçons avec les réseaux sociaux au quotidien va peu à peu venir se superposer à notre propre identité, la personne que nous sommes sur les réseaux sociaux va fusionner avec celle que nous sommes dans la vie de tous les jours. « Par exemple, avoir un certain nombre d’abonnés et de ‘j’aime’ sur une publication va être perçu comme un signe de validation, de popularité. Nous allons finir par imaginer que non seulement ce que nous publions mérite d’être publié, mais aussi que nous sommes dignes d’être aimé. Nous méritons d’être aimé parce que nous publions des choses qui sont aimées ».
C’est pourquoi, la dépendance aux écrans s’installe : nous pouvons puiser dans les écrans des ressources pour nourrir notre besoin d’appartenance et notre estime de nous-même bien plus efficacement que dans la vie réelle. « En effet, ces relations sociales sont très rapides, super faciles d’accès et infinies par rapport aux relations sociales dans la vraie vie. Notre cerveau va donc avoir tendance à les privilégier ».
Comment savoir si vous souffrez de dépendance aux écrans ?
Pour Aurélien Guihéneuf, « l’idée c’est d’observer si l’utilisation que nous avons des écrans nous est objectivement utile, bénéfique et agréable. Si nous nous rendons compte qu’il y a des moments où ce n’est pas le cas, il est important de s’arrêter sur ces moments ».
- Des colères noires ou une tristesse intense suite à un échec dans votre nouveau jeu vidéo ?
- Un besoin de toujours faire défiler de nouveaux posts, de toujours vous abonner à de nouveaux comptes, de vous jeter sur vos réseaux sociaux au moindre temps libre et d’être stressé par ces derniers ?
« Ces moments sont l’un des premiers indicateurs pour comprendre, au-delà de la quantité de temps que nous allons passer sur les écrans, à quel point la qualité de ce temps est bonne ou pas. Nous devons les considérer comme des points d’alerte ».
Ils sont le signe d’un dysfonctionnement dans notre utilisation des écrans, un avertissement qui doit nous faire réagir.
Quels sont les effets de cette dépendance ?
Sur les enfants
Si on parle d’addiction, c’est qu’il y a des aspects néfastes soit sur le développement cérébral, pour les enfants notamment, soit sur l’épanouissement des personnes plus adultes. ”
Ce qui est alertant en particulier chez les enfants c’est la manière dont les écrans sont amenés à faire partie de leur vie. « L’intégration des écrans dans la vie des enfants doit se faire d’une façon judicieuse et adaptée à l’étape de développement dans laquelle l’enfant se situe. Cette intégration devrait être considérée de la même façon que celle de nouveaux aliments dans leur alimentation. À 6 mois, un enfant n’aura pas les mêmes besoins ni les mêmes capacités cérébrales qu’à 6 ans ».
En fonction de l’âge auquel ils ont été exposés aux écrans, les comportements des enfants vont être plus ou moins impactés. Si ces derniers passent trop de temps devant les écrans à un trop jeune âge, alors leur évolution cérébrale peut s’en voir altérée et leur apprentissage de la vie également.
« C’est sur toutes les notions de communication, de langage, d’empathie, de concentration, de sommeil, qu’il est important de surveiller les interactions de l’enfant avec les écrans ».
Sur les adultes
⮚ Du point de vue du contenant : « Il y a aussi des effets néfastes pour les adultes, on parle souvent de la lumière bleue. Il s’agit du filtre de lumière le plus important qu’on capte à travers le soleil. Par conséquent, quand cette lumière est interceptée par les yeux, elle donne l’information au cerveau qu’on est en pleine journée ».
Ainsi, si après avoir consulté vos réseaux sociaux, regardé votre tablette ou joué à un jeu vidéo, vous n’arrivez pas à trouver le sommeil cela est totalement normal, car « captée trop tard dans la soirée, la lumière bleue va perturber fortement le cerveau et le garder en éveil, déréglant les cycles d’endormissement ».
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Quels sont les bienfaits du sommeil sur la santé ?
Le sommeil permet à notre organisme de récupérer, que ce soit sur le plan physique ou mental. Et pourtant, nous le négligeons trop souvent, malgré ses fonctions déterminantes pour notre santé.
⮚ Du point de vue du contenu : « Quand nous passons du temps sur un écran, nous sommes, en quelque sorte, hypnotisés par ce dernier et nous pouvons perdre la notion des sensations de notre corps, du temps qui passe ». Qui n’a jamais regardé l’heure en s’exclamant « Déjà ! » après avoir passé du temps devant un écran ?
À petite échelle ce n’est très grave, mais dès que l’addiction s’installe et qu’on perd toute notion des heures qui passent, cela va incontestablement avoir des conséquences directes sur notre santé.
« Au niveau de l’alimentation par exemple, nous allons avoir tendance à la sédentarité. Nous bougeons moins et nous pouvons développer des carences alimentaires en oubliant de nous nourrir ou à l’inverse, manger en trop grande quantité, trop gras, trop sucré ou trop salé ».
Ces mauvaises conséquences s’étendent aussi sur notre mental « notamment sur les émotions. Si nous regardons des contenus stressants, déprimants ou violents cela va forcément avoir un impact sur la manière dont nous allons nous sentir ».
Comment rompre avec cette dépendance ?
Prendre du recul
« La base c’est de reconnaître le problème. Il faut vous renseigner sur le sujet, vous observer et vérifier si vous êtes impacté ou non par la dépendance aux écrans ».
Ça arrive à tout le monde de se laisser submerger par ses émotions suite à un contact prolongé avec un écran, ou inversement, de chercher du plaisir dans les écrans face à une émotion difficile, mais il ne faut pas que cela prenne trop de place dans le quotidien et que ce qui doit être, à la base, un divertissement évolue vers quelque chose de beaucoup plus problématique.
Selon Aurélien Guihéneuf, il existe de très nombreuses pratiques pour solutionner l’addiction. Ces dernières sont facilement accessibles sur internet, il en détaille d’ailleurs la plupart dans son livre. Cependant « l’important c’est de choisir ce qui semble bon pour vous. Il ne faut pas que vous appliquiez à la lettre tous les conseils que vous pouvez voir sur internet, car ils ne vous correspondent pas forcément tous ».
Par exemple, « il y a des personnes qui vont être à l’aise à l’idée d’installer des limitations de temps sur les écrans. C’est-à-dire qu’au bout d’un certain temps d’utilisation, l’écran va mettre un message qui peut simplement alerter, mais aussi bloquer l’accès à l’écran ou à certaines applications. Mais si ça fonctionne très bien chez certaines personnes, cela ne va pas être le cas chez d’autres ».
En effet, certaines vont très mal réagir à la frustration et cette dernière loin d’avoir un effet positif va entraîner d’autres émotions négatives. Pareil pour le fait de supprimer les applications ou simplement les notifications, « certaines personnes vont être très à l’aise avec l’idée de se dire ˝Je supprime cette application parce qu’elle a des conséquences négatives sur ma vie et qu’en la supprimant je n’aurai plus la tentation d’y retourner » Mais chez d’autres ça va être l’inverse, la frustration ultime, des émotions encore plus désagréables qui vont les amener à réinstaller l’application et à se dévaloriser encore plus « Je suis trop nul, je n’ai aucune volonté ».
« L’idée c’est déjà de faire le bon choix et donc de tester les choses, de voir si ça nous convient et si cela n’est pas le cas, alors nous les laissons de côté et essayons autre chose. Le cerveau aura toujours plus de facilité à accepter ce que nous mettons en place par choix que ce qui nous est imposé ».
Savoir anticiper
« La deuxième chose c’est de savoir anticiper les moments où vous vous sentez mal avec les écrans et d’essayer de réintégrer dans votre vie des activités qui sont déconnectées ».
Faire un régime ce n’est pas arrêter de manger, c’est remplacer certains aliments par d’autres plus sains. Ici on suit la même logique :
Ça ne sert à rien de limiter les écrans pour ne rien faire derrière parce que l’ennui et la frustration exacerbés nous pousseront forcément à y revenir. Il faut vous servir du temps que vous avez dégagé pour vous tourner vers d’autres activités, cette fois déconnectées.
« Ça peut parfois simplement s’exprimer sous la question : Qu’est-ce que j’aimais faire quand j’étais enfant et que je n’avais pas d’écrans ? ».
Dessiner, chanter, faire de la musique peuvent être des réponses qui viennent instinctivement à l’esprit, tout comme certains sports ou certains loisirs, le théâtre par exemple.
« Il faut ensuite voir de quelle manière ces activités peuvent être réintégrées à votre vie ». Si plus aucune de ces activités ne vous plait vous pouvez vous demander « Qu’est-ce que j’ai aimé faire lors de mes dernières vacances ? Qu’est-ce qui est susceptible de me passionner ? ».
Dans tous les cas, cela doit vous conduire à vous questionner : « De quelle façon est-ce que dans les moments où je sens que les écrans prennent trop de place, je vais pouvoir me tourner vers ces activités déconnectées pour les laisser de côté ? ».
Devenir actif
« Le troisième point c’est de devenir vous-même actif sur la question de la dépendance aux écrans. Il ne faut pas attendre que ce soit les écrans ou les développeurs qui trouvent des solutions pour vous, mais vous responsabiliser sur la question d’un point de vue individuel mais aussi d’un point de vue collectif ».
N’hésitez pas à vous renseigner, à tester de nouvelles choses et à échanger les enseignements que vous en avez tirés. « Il faut en parler autour de vous, partager avec les autres ».
Il faut prendre du recul sur la situation. La première étape, c’est de reconnaître votre problème, de faire une sorte d’introspection avec le plus d’objectivité possible ou de vous faire accompagner par un professionnel qui apportera cette neutralité et cette objectivité ”