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Harcèlement scolaire : quand la reconstruction passe par la libération de la parole

Ann-Liz Deba est étudiante en 2e année de droit. Elle a été victime de harcèlement scolaire au collège, de la 6e à la 4 e. A l'occasion de la journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire, elle témoigne sans fard pour Aésio, de ces années de brimades et de violences, afin de nous faire connaître la réalité de ce phénomène.
Enfant la tête entre les mains, réconfortée par une adulte, classe d'école

Face à l’adversité, sa force mentale et sa joie de vivre lui ont permis de briser la loi du silence. Aujourd’hui reconstruite, Ann-Liz ose libérer la parole et s’engage auprès d’associations telles que e-Enfance et Elien Rebirth.

Rencontre-témoignage avec Ann-Liz Deba, ancienne harcelée scolaire

À l’heure où le grand public est de plus en plus sensible aux problèmes de harcèlement en milieu scolaire, il est important de rappeler que des aides psychologiques et des accompagnements légaux existent, pour les victimes comme pour les témoins de ces agressions.

Quand avez-vous été harcelée ?

J’ai commencé à être harcelée en 6e. Au début, c’était des moqueries et des insultes, donc je ne prenais pas vraiment cela au sérieux. On me traitait "d’intello" parce que j’étais bonne élève. Je me disais que ce n’était pas grand-chose... Les jours ont passé, les insultes sont devenues de plus en plus violentes et tournées vers ma propre personne. C’est là que j’ai commencé à être profondément touchée et atteinte.
Je pensais que cela allait passer avec le temps. Mais les agressions ont continué et se sont amplifiées…

Comment passe-t-on des violences verbales aux violences physiques ?

Le problème, c’est que l’on a tendance à banaliser les violences verbales. Donc on encaisse, on laisse faire même si l’on ne devrait pas. Surtout que je connaissais bien la plupart des élèves qui étaient dans mon école primaire !

portrait d'Ann-Liz DEBA

L’année qui a suivi mon entrée en 5e s’est finalement révélée encore plus difficile. Les violences physiques faisaient partie de mon quotidien. On me poussait dans les couloirs, on me frappait, on me faisait tomber dans les escaliers… Comme je ne disais rien et que personne ne bougeait, les harceleurs ont pu continuer en toute impunité. 

On peut dire que le silence est très présent dans le harcèlement…

Le silence permet de se protéger, il agit comme un bouclier. On se dit que si l’on parle ou que l’on se plaint, on va forcément subir des harcèlements encore plus sévères. On a aussi peur de parler, on pense que l’on ne va pas être cru. Et malheureusement cela arrive trop souvent… Il faudrait d’ailleurs que les adultes prennent plus au sérieux les enfants quand ils en parlent.
Enfin, on a honte de parler et de s’ouvrir à des adultes. On touche là un point sensible dans le phénomène du harcèlement : c’est le sentiment de culpabilité.

On m'a aspergée d'essence, de la tête aux pieds. Un bidon d'essence rempli. Avec ses amis en chœur qui disaient : « Brûle-la ! Brûle-la ! » C'était vraiment un jeu pour eux. ”

Ann-Liz DEBA

Avez-vous parlé de ces problèmes avec des adultes ? Auprès des professeurs ?

J’ai pu en parler à ma mère et à ma professeure principale, tardivement. Les adultes ont généralement tendance à minimiser les faits. Pour elles, ce sont des chamailleries d’école. Alors effectivement à ce moment-là, on préfère se taire et subir. Et on attend que quelqu’un vienne nous tendre la main et nous sauver. 

Quels sont les signes à la maison qui doivent alerter les parents ?

Je suis d’habitude quelqu’un de très jovial et de très optimiste. Mais là, j’avais perdu mon sourire et ma motivation de travailler, de participer à mes activités extra-scolaires.

J’avais perdu le goût de la vie. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à me mutiler. Je me détestais. J’ai fini par me laisser convaincre par les autres que je ne servais finalement à rien. J’ai été aussi cyber-harcelée. Il n’y avait plus de répit, je rentrais chez moi, je recevais des messages injurieux qui me poussaient au suicide sur mon profil Facebook. C’était sans fin…

Selon le ministère de l'Éducation nationale, on a recensé en 2019 près de 700.000 victimes de harcèlement scolaire en France.

Parmi ces 700.000 victimes : 12% sont en primaire, 10% au collège et 4% au lycée.

Jusqu’à ce jour où vous avez été menacée de mort à la sortie du collège…

Un midi, je suis sortie du collège et je me suis retrouvée coincée face aux personnes qui me harcelaient. Et c'est là qu'une personne est sortie du groupe et m'a aspergée d'essence, de la tête aux pieds. Un bidon d'essence rempli. Avec ses amis en chœur qui disaient : « Brûle-la ! Brûle-la ! » C'était vraiment un jeu pour eux. Les élèves ont alors été pris d'un fou rire, me permettant de m'échapper. Une agression extrême et sans limites apparentes.

Quelle aide avez-vous reçue ? Les harceleurs ont-ils été arrêtés ?

Le déclic a été d’en parler à ma mère. C’est vrai que cela fait peur de parler mais je souhaite insister sur le fait que le dialogue et la parole sont les seuls moyens pour recevoir de l’aide. Ma professeure principale m’a aussi écoutée, même si je vivais déjà depuis de longs mois ce calvaire. En fait, à ce moment-là, je niais les faits. Il faut que la personne en situation de harcèlement prenne conscience de son statut de victime. Concernant mes harceleurs, je n’étais pas bien informée à l’époque, et j’ai juste déposé une main courante auprès du commissariat. Ces derniers n’ont pas été poursuivis.

Aujourd’hui, je sais que l’on peut porter plainte et qu’il existe un ensemble de règles de droits qui protègent la personne. Par exemple, la victime peut déposer plainte contre ses harceleurs, même mineurs, dans un délai de 6 ans, accompagnée de ses parents. 

Quelques années plus tard, comment vous sentez-vous aujourd’hui ?

J’ai décidé de faire des études de droit pour être conseillère juridique et aider les personnes à travers mon expérience mais aussi mes compétences.

J’ai retrouvé ma joie de vivre et mon optimisme. J’ai vraiment l’ambition d’aider un maximum de victimes ou de parents de victimes, grâce à mes actions de conseil dans les associations comme E.enfance et grâce à mon podcast d’affirmation de soi « Smile ». 

Quelles sont les aides à disposition des victimes de harcèlement ?

Depuis quelques années, on assiste à une mobilisation nationale afin de lutter contre le harcèlement scolaire.

  • En 2019, le gouvernement a promulgué la loi sur l’Ecole de la confiance. L’article 5 de celle-ci consacre « le droit des élèves à suivre une scolarité sans harcèlement » en l’inscrivant dans le code de l’Éducation. 
  • En mars 2021, Marlène Schiappa, la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, a annoncé la création d'un "comité des parents contre le harcèlement" qui se réunira 4 fois par an. L’objectif est entre autres de donner plus d’outils aux parents pour identifier si leur enfant est victime de harcèlement à l’école ou bien s’il est un harceleur.
  • Il existe des référents et des aides psychologiques vers lesquels les victimes peuvent se tourner : professeurs, professionnels de santé en milieu scolaire, professionnels de l’éducation.
  • Le milieu associatif est lui aussi très actif, avec par exemple l’association HUGO, créée en 2018 par Hugo Martinez, 22 ans, qui a lui-même vécu le harcèlement durant 12 ans.

Service Aésio

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Bénéficiez d'une assistance au quotidien avec un service d’informations juridiques et pratiques, soutien psychologique, informations sociales et médicales.

Ann-Liz DEBA, portrait

La force des harceleurs, c’est de nous faire croire que le problème vient de nous : « C’est de ma faute si cela se passe comme ça » ! ”

Ann-Liz DEBA

Quels conseils donneriez-vous à des élèves victimes de harcèlement ? Quelles actions vous semblent utiles ?

Pour moi, il est nécessaire de développer 3 stratégies comportementales et émotionnelles :

  1. Libérer la parole. Si une personne harcelée n’arrive pas à verbaliser ses ressentis, elle peut exprimer son mal-être à travers le dessin et l’écriture. Je conseille à la victime de prendre une feuille et d’écrire ou de dessiner. Une fois que l’on se sent prêt(e), on peut montrer son cahier ou son dessin à un tiers : une grande sœur, un grand frère ou à un adulte qui pourra prendre en considération le témoignage. Sans juger et sans minimiser les faits. 
     
  2. Écouter une ancienne victime. Il est plus facile à des jeunes de parler à d’autres jeunes. Il existe de nombreux podcasts et vidéos YouTube dans lesquels d’anciennes victimes témoignent librement de leurs anciennes expériences, en parlant le même langage qu’eux. Ces témoignages "live" permettent de provoquer de vrais déclics chez ceux qui subissent le harcèlement et qui n’osent pas agir.
     
  3. Reprendre confiance en soi pour se reconstruire. Cela passe bien évidemment par l’amour de soi, en lisant par exemple des ouvrages sur l’affirmation de soi, et apprendre à ne plus prendre en compte les paroles de haine des agresseurs. Savoir s’affirmer est la clé, que l’on soit du côté des victimes ou des témoins de l’agression. Si une personne se fait agresser devant nous, il faut avoir assez de confiance en soi pour prendre sa défense, être en capacité de réagir et ne plus jamais avoir peur !

  

3 stratégies : Libérer la parole (via le dessin, l'écriture) ; Écouter une ancienne victime (podcast, vidéo YouTube) ; Reprendre confiance en soi pour se reconstruire (affirmation de soi)

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Du phénomène de harcèlement scolaire découle aussi une responsabilité collective : il faut continuer à prévenir ces violences à travers des plans d’action et des journées de sensibilisation.
Libérer la parole et bien sûr alerter lorsqu’on est victime ou témoin d’une situation de harcèlement !

En savoir plus sur le harcèlement

La Fondation AÉSIO est partenaire des Centres Relier, dont la mission sociale est d’accompagner les jeunes victimes de harcèlement et de les aider à se reconstruire en s’appuyant sur le réseau d’acteurs locaux.

Numéros d’écoute gratuits :

  • « Non au harcèlement » : 3020 - Accueil des jeunes ou des parents, victimes ou témoins de harcèlement à l’école, du lundi au vendredi, de 9h à 20h, et le samedi de 9h à 18h, sauf les jours fériés
  • « Face au cyberharcèlement » : 0 800 200 000 - Du lundi au vendredi, de 9h à 19h.
  • Pour prévenir le harcèlement et le cyber-harcèlement, le Ministère de l’Éducation nationale a généralisé la formation des ambassadeurs. Ils sont aujourd’hui près de 10.000 collégiens et lycéens à être "Ambassadeurs contre le harcèlement".
    (Lien vers le dispositif).

En podcast : Podcast Smile

Les associations auprès desquelles elle intervient au quotidien :