Interview Megan KATEB, enfant entendant de parents sourds
Bonjour Megan, peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Megan KATEB, j’ai 27 ans. Je suis née et j’ai grandi en région parisienne mais j’habite actuellement en région nantaise ! J’ai un petit frère et une petite sœur.
Nous sommes tous les trois entendants et nos parents sont sourds signants.
Professionnellement parlant, j’ai validé l’an dernier un Master d’Histoire avec un mémoire sur l’histoire des sourds à l’époque médiévale et je travaille auprès de jeunes sourds signants en intégration dans des établissements ordinaires
C’est quoi « hCoda » ?
Littéralement cela signifie « hearing Child of deaf adult ».
Être hCoda c’est donc être l’enfant entendant signant ou non, de un ou deux parents sourds, eux-mêmes, signants ou non.
A quel moment tu as pris conscience de « la différence » de tes parents ?
Alors, jamais vraiment. Pour moi c’était ma normalité, mes parents communiquent ensemble et avec nous, leurs enfants, en LSF, et c'est ok. Je viens d’un quartier populaire où il n’est pas rare que dans les foyers d’autres langues se parlent et pour moi c’était la même chose.
Je ne me souviens pas avoir eu des remarques ou des regards particuliers sur la « différence » de ma famille au sein de mon quartier, évidemment en dehors c’était souvent une autre histoire, il y avait les regards insistants, les chuchotements, les rires parfois etc.
Surtout, mes parents ne se considèrent pas du tout comme handicapés. Ils sont Sourds avec un grand S, en sont fiers et nous ont transmis cette fierté. C'est primordial dans notre éducation et notre compréhension de leur surdité. ”
Mes parents sont militants et ont pu être très investis à certains moments de leur vie dans les actions de la communauté.
On allait souvent à des banquets, des manifestations et plus particulièrement aux évènements sportifs et culturels où j’y rencontrais des sourds adultes ou enfants, des Coda entendants ou sourds et des entendants militants travaillant dans ou pour la communauté. C’était très riche.
Je pense peut-être que le fait que j’ai toujours assumé cette identité a fait que tout s’est toujours bien passé pour moi heureusement, mais je sais que ce n’est pas toujours le cas pour d’autres.
Au moment de l’adolescence j’ai ressenti le besoin de m’éloigner un peu de la communauté qui était omniprésente dans ma vie. Je n'avais jamais vraiment pu me poser la question de ma propre identité au sein de cette communauté. ”
J’avais besoin de ce recul pour me construire moi-même, me questionner sur mon identité de Coda et surtout pour me déconstruire et développer mes propres valeurs militantes.
Mais, même à travers ce recul, j’ai toujours su que je travaillerais au sein de la communauté signante.
Plus jeune déjà, vers 6-7 ans, je voulais être « professeur des écoles pour sourds », puis interprète et là… je suis revenue à mon envie d’enseigner, toujours en LSF.
Quel a été le moment le plus difficile/compliqué/douloureux ?
Au collège, j’ai pu entendre de la part de mes professeurs des remarques de pitié du genre « Oh ce ne doit pas être facile à la maison » ou encore des remarques visant à me culpabiliser « Fais attention, comportes toi bien, déjà que tes parents sont sourds » ou « Oh si tes parents t’entendaient ! ».
Mais ce qui m’énervait le plus c’est quand on s’en prenait directement à mes parents, qu’on jugeait leurs capacités à nous élever du fait de leur surdité.
Un prof, un jour, a dit à mon frère que si il avait des mauvaises notes c’était de la faute de nos parents, car ils sont sourds. J’en ai parlé à ma mère qui est venue rencontrer le prof et bizarrement, là, aucun reproche.
Mes parents, avec le temps, ne s’offusquaient plus. C’était pour eux une perte de temps, l’ignorance et la bêtise de certaines personnes, ils en avaient l’habitude même si évidemment ça les blessait.
Quel est ton meilleur souvenir, le plus joyeux ?
Avec mon frère et ma soeur, quand on était petits, on croyait que nos parents étaient peut-être des agents secrets.
On se disait que c’était une couverture, qu’en fait ils entendaient très bien et que c’était pour mieux nous surveiller, nous tester.
On a même fait des tests, on s’approchait d’eux alors qu’ils étaient de dos, on criait, faisait du bruit… et bah ils sont bien sourds !
Peux-tu nous parler de l’association CODA France?
J’ai été contactée par Elodia MOTTOT, co-dirigeante, en ce début d’année pour rejoindre l’association. Au début je n’étais pas plus emballée que ça mais au fil de nos discussions j’ai compris qu’elle et Nadia Sfaxi, l’autre co-dirigeante, souhaitaient faire évoluer l’image de CODA France et je me suis dit pourquoi pas.
Pour le moment, l’association est en pleine refonte mais nous avons plein de projets et d’idées. Nous aimerions, par exemple, rassembler plus de profils de Coda afin d’afficher une plus grande diversité militante et nous sommes aussi en train de créer un pôle de recherche sur l’Histoire Coda… On espère une réouverture des activités fin 2021 !
Tu as aussi créé un compte Instagram Signs’Life, tu peux nous en dire plus ?
Au départ, l’idée de ce compte part vraiment d’un ras le bol personnel dû au manque d’accessibilité permanent que vivent au quotidien mes proches sourds, de leur invisibilisation et de celle de la LSF, ma langue maternelle.
J’avais envie de participer plus concrètement à la lutte et de créer un outil pour pouvoir laisser la parole aux différents profils de concernés, de pouvoir répondre à des questions de sensibilisation comme « Oui les Sourds peuvent conduire », « On ne dit pas sourds-muets, ni langage des signes » etc.
En somme : mettre en avant directement les communautés sourdes et signantes.
Mais, je ne souhaitais pas me lancer seule car à mon sens, il est important d’échanger pour mieux avancer alors j’ai proposé l’idée à une amie interprète et militante, Ninon Granier.
Ensemble nous avons donc créé un compte Instagram : Signs’Life. On répond à beaucoup de questions, on informe et on sensibilise par des posts, des stories mais aussi des vidéos (sous-titrées et interprétées par Ninon).
En un an, le compte a déjà presque 5000 abonnés et on est très fières !