#Changer de regard

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La charge mentale, un épuisement 100% féminin ?

Penser à prendre rendez-vous chez le médecin pour les enfants, à acheter des œufs, chercher les idées cadeaux pour la belle-famille… Cette liste mentale permanente de tâches à accomplir s’appelle la "charge mentale".
Pour nous parler de ce sujet, nous avons rencontré Tiffany Cooper, autrice de la bande dessinée « Homme Sweet Homme », aux éditions Eyrolles.
Femme devant un ordinateur et des papiers, tient sa tête entre ses mains, bébé sur ses genoux

Connaissez-vous la charge mentale ?

Une définition officielle de la charge mentale

En 1984, la sociologue Monique HAICAULT définit la charge mentale comme le fait de « devoir penser simultanément à des choses appartenant à deux mondes séparés physiquement », tel que penser aux corvées qui attendent à la maison lorsque l’on est au travail.

Plus récemment, Le Larousse a officiellement fait entrer la charge mentale dans l’usage commun à travers la définition suivante : « un poids psychologique que fait peser (plus particulièrement sur les femmes) la gestion des tâches domestiques et éducatives, engendrant une fatigue physique et, surtout, psychique. »

L’avis de Tiffany COOPER

Tiffany COOPER est autrice et illustratrice. Elle réalise des expositions, travaille sur une série animée et a lancé récemment son podcast. Homme Sweet Homme (éd. Eyrolles) est son sixième roman graphique. Son objectif ? Faire rire en faisant passer des idées fortes. 

« La charge mentale est un terme qui a été démocratisé par l’illustratrice Emma et qui est portée à très grande majorité par les femmes. Elle englobe diverses charges : domestique, émotionnelle, parentale, familiale, esthétique, sexuelle, de santé… et crée des inégalités profondes qui précarisent les femmes. »

Il s’agirait ainsi d’avoir une liste constante d’informations à se souvenir pour anticiper les événements familiaux ou professionnels et rappeler aux personnes concernées les tâches qu’elles doivent accomplir.
Une définition qui cible les femmes, comme la population la plus touchée par la charge mentale. Est-ce vraiment le cas ?

© photo Deborah Farnault

Les femmes en première ligne ?

Une répartition des tâches déséquilibrée

Selon l’INSEE, les femmes effectuent 71% des tâches ménagères et 65% des tâches parentales.
Des chiffres qui explosent lorsque l’on s’intéresse plus particulièrement à la répartition des tâches lors des confinements liés à la pandémie. Selon l’enquête « Conditions de vie pendant le confinement » (lien ) 83% des femmes vivant avec des enfants leur ont consacré plus de 4 heures par jour, contre 57% des hommes.

Des chiffres qui mettent en évidence une répartition déséquilibrée des tâches domestiques, qui entraîne à son tour un déséquilibre de la charge mentale dans les foyers, le plus souvent au détriment des femmes...

Vous vous demandez à quoi est due cette différenciation genrée de la charge mentale ? Nous aussi !

Pourquoi cette différenciation genrée de la charge mentale ?

Dans l’imaginaire collectif, si les femmes sont conditionnées dès le plus jeune âge à prendre soin des autres et du foyer, les hommes sont ceux qui subviennent aux besoins de leur famille et qui ne doivent pas exprimer leurs émotions. La principale raison est l’éducation « genrée » dans nos sociétés : garçons et filles sont, inconsciemment le plus souvent, éduqués de manière différente selon leur genre, ce qui les conditionne dans un rôle dès leur enfance. La pression sociale est ensuite très forte, que ce soit pour les jeux auxquels ils jouent, les vêtements qu’ils portent ou leur couleur préférée.

Dans Homme Sweet Homme, Tiffany associe ces différences de genre à l’histoire économique de la France : avec la révolution industrielle, les domestiques disparaissent petit à petit et les hommes deviennent ouvriers, mais il n’y a personne pour garder les enfants…
Le concept de "mère au foyer" naît !

Les tâches domestiques et parentales ayant longtemps été confiées aux femmes, la société s’est ainsi organisée en enfermant les hommes et les femmes dans un rôle distinct et inégal. La charge mentale découle directement de ces différences et touche aujourd’hui 8 femmes sur 10.

Les conséquences de la charge mentale

La charge mentale peut avoir de nombreuses conséquences. Les premiers signaux sont facilement détectables mais pas toujours simples à associer à un épuisement lié à la charge mentale : stress, anxiété, extrême fatigue, insomnie… S’ils ne sont pas pris au sérieux, des conséquences physiques et mentales plus importantes peuvent avoir lieu : migraine, maladie de peau, maux de ventre, burn-out

Un trop plein d’émotions, de responsabilités et de charges diverses entraîne une pression permanente puis un "craquage", qui mène à une grande culpabilité de ne pas avoir réussi à tout faire.

Au-delà des conséquences physiques et mentales sur la personne qui subit cette charge mentale, cela impacte aussi son couple et ses enfants, son entourage, et son travail… Comment faire en sorte de ne pas exploser ?

Quelles solutions pour partager la charge mentale ?

Dans l’article "Nos conseils pour alléger votre charge mentale", nous vous confiions quelques conseils pour aller mieux et prendre soin de vous. Aujourd’hui, nous vous confions de nouvelles techniques concrètes et applicables dans votre vie quotidienne :

  • Faites la liste ensemble de tout ce que vous accomplissez : notées sur une feuille, vous réaliserez enfin toutes les tâches que vous avez effectuées dans la journée et cela vous permettra de vous rendre compte qu’il faut ralentir le rythme.
  • Tentez de répartir les tâches : dispatcher les tâches au sein du couple permettra à chacun d’assumer la responsabilité de sa réalisation ou de sa non-réalisation.
  • Si vous avez des enfants, faites-les participer : garçons ou filles, les enfants aiment se rendre utiles. Lorsque vous les faites participer aux tâches quotidiennes (débarrasser leur assiette, plier les chaussettes, vous aider aux courses…), ils apprennent tôt à s’impliquer, à faire les mêmes tâches que papa ET maman, et à devenir indépendants. Une éducation qui permettra peut-être, une fois adulte, de changer la balance de la charge mentale vers une meilleure répartition des tâches.
     

🗨   Le conseil de Tiffany

Quels conseils donneriez-vous à une femme qui a une forte charge mentale liée au couple hétérosexuel ? 

Tiffany COOPER

Autrice et illustratrice

« Je lui conseillerais d’abord de laisser trainer mon livre dans les toilettes ou sur la table basse du salon pour voir si son partenaire se met à le lire... Plein de femmes m’ont contactée en disant que leur compagnon avait soufflé en voyant le livre et quelque temps après elles le surprennent en train de le lire et de se marrer. Ça fait réfléchir les gens et je trouve ça bien ! Il faut planter une petite graine pour que ça pousse et que ça devienne un arbre.
Honnêtement, et je n’aime pas dire ça, mais s’il n’y a aucune évolution, quitte-le ! Une relation de couple c’est deux personnes qui travaillent ensemble, il faut des efforts des deux côtés. »

Instagram @tiffanycooper_

Rencontre avec Tiffany Cooper

–  Pourquoi avoir écrit (et illustré) ce livre ?

J’ai eu envie d’écrire ce livre pendant ma séparation avec mon ex-compagnon. J’ai eu un éveil féministe pendant le confinement et j’ai réalisé que j’avais surinvesti l’espace domestique et que lui l’avait sous-investi. Plus tu cherches d’informations sur le féminisme et plus tu t’éveilles, alors j’ai voulu synthétiser tout ce qui est un peu dense en féminisme, pour les gens qui peuvent être découragés ou intimidés par cette thématique, et par les divers supports qui existent.

–​​​​​​​  Pensez-vous que la charge mentale apparaît avec la venue d’un enfant ?

Je pense qu’elle survient surtout quand on commence à vivre avec quelqu’un : les femmes se retrouvent à travailler plus et les hommes à s’investir moins, et à chaque enfant s’ajoute une charge.
C’est le prix à payer dans les couples…

–​​​​​​​  Vous avez un fils. Quelle est votre expérience avec l’éducation d’un garçon ?

Avec mon ex-compagnon, on éduque notre fils de la même manière : ce qu’on lui propose comme activités, la manière dont il s’habille, comment on communique avec lui et comment l’aider à gérer ses émotions… On a beaucoup de respect l’un pour l’autre

–​​​​​​​  En quoi l’indépendance financière est-elle importante en tant que femme ?

Que les femmes aient un travail ou pas, elles sont quasi-systématiquement toutes concernées par la charge domestique. Mais c’est aussi du travail, donc elles se retrouvent avec deux jobs : double journée, double peine. L’indépendance financière c’est la condition pour être libre. Mais il faut aussi être bien entourée.

–​​​​​​​  Pensez-vous qu’il est possible de faire ouvrir les yeux aux hommes qui ne se sont jamais intéressés à la charge mentale ?

Je pense que c’est possible mais que c’est ardu, comme d’apprendre une langue étrangère ou un instrument de musique une fois adulte. Il y a une souplesse cérébrale quand on est petit qui est difficile à avoir adulte.

Il y a une citation que j’apprécie qui dit « Derrière chaque homme éveillé sur l'égalité femmes-hommes, il y a une féministe au bout du rouleau. » Cette citation signifie aussi que si quelqu’un est réfractaire à l’idée de s’informer et de changer, on ne pourra rien lui faire entendre. Ce n’est pas impossible mais tu peux perdre beaucoup d’énergie… Un vrai syndrome d’épuisement militant, car essayer de déconstruire les discours des gens, c’est épuisant. Par contre, là où ça fonctionne, c’est dans l’éducation des enfants : il faut désamorcer les situations avant qu’elles existent.

–​​​​​​​  Qu’est-ce qui est le plus dur dans la charge mentale ?

« Le premier problème pour nous tous, hommes et femmes, n’est pas d’apprendre, mais de désapprendre » (Gloria Steinem) : en tant que femme, on est formatée à surinvestir l’espace domestique et en tant qu’homme, à le sous-investir. C’est par là qu’il faut commencer.


Selon plusieurs études des dernières années, la charge mentale est un poids qui pèse quasi exclusivement sur les épaules des femmes.
Zoom sur quelques données dans l’infographie suivante.

La charge mentale des femmes en chiffres

117 mn /j de ménage pour les femmes contre 46 mn/j pour les hommes, 46% des femmes associent charge mentale et enfants contre 47% à l'entrée dans la vie active pour les hommes

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