Interview d’une interprète LSF, Christelle ROQUES
Bonjour Christelle, peux-tu nous raconter ton parcours d’orientation qui t’a mené au diplôme d’interprète ?
Je voulais m’orienter vers des études de l’Histoire de l’art, ou arts appliqués, mais ma famille m’a poussée à m’orienter vers une voie qui aurait plus de chance de m’apporter un emploi par la suite. On voulait me voir embrasser des études médicales. J’ai finalement coupé la poire en deux, et j’ai choisi une filière paramédicale en préparant le concours d’orthophonie : je m’inscris donc à l’université en Licence Sciences du langage.
C’est là que j’ai « rencontré » la LSF pour la première fois, à l’âge de 18 ans lors de la pré-rentrée universitaire. J’ai pris conscience de l’existence des étudiants sourds en voyant la présence d’une interprète en amphi. A ce moment-là, je suis plus « attirée » par le fait que des personnes s’expriment dans cette langue que par la présence de l'interprète en Langue des Signes.
Quelques jours après, alors que j'ère dans les couloirs de l’université pour trouver ma salle de cours de phonétique, je pousse une porte et me retrouve à assister à un cours de M. Cuxac sur l’Histoire et la structure de la Langue des Signes Française.
C’est à ce moment-là que tu décides d’apprendre la LSF ?
Intriguée, intéressée, je prends l’option LSF pour apprendre cette langue dès ma deuxième année car ce n’est pas possible en première année. Je m’étonne de cette découverte :
Il y a des personnes dans notre société qui s’expriment dans une langue visuo-gestuelle, ont une culture propre et ont de vrais combats sociaux.
J’ai très rapidement voulu aller à la rencontre de cette communauté pour comprendre leur histoire, apprendre leur langue pour pouvoir directement échanger avec eux. Je suis donc très motivée pour réussir les examens et valider ma première année.
La deuxième année commence et les cours de LSF aussi, c’est difficile mais je m’accroche, je suis déterminée.
Même si enfant d’une famille étrangère (vietnamienne), je me suis déjà retrouvée, dans un bain de langage que je ne comprenais pas et j’ai su trouver des méthodes pour déchiffrer les messages avec notamment des indices visuels. Stratégies que je réemploie pendant mes cours de LSF.
Je me renseigne sur les rencontres sourds/entendants, les cafés signes certes, mais aussi les évènements fédérateurs comme les manifestations militantes ou festives, les conférences, et soutiens des rencontres comme à l’association AIDES.
Au contact de la communauté, je suis rapidement choquée de voir qu’une majorité de personnes sourdes ne connaissent pas ou très mal leur propre histoire. J’ai souhaité à mon échelle contribuer aux combats de la communauté des Sourds. ”
Quel est ton objectif à ce moment-là ?
« Un peuple qui ne connaît pas son histoire est un peuple affaibli »
Mon objectif est clair, je veux donner les moyens à la nouvelle génération d’accéder à l’information et à leur histoire.
A la fin de ma 3ème année, je ne suis toujours pas attirée par le métier d’interprète. Je travaille un an comme Auxiliaire de Vie Scolaire en Seine-Saint-Denis auprès d’enfants sourds en intégration et essaye désespérément de faire valoir leurs droits à une éducation en langue des signes.
Les barrières sont trop hautes. Je claque la porte de l’Académie du 93, et je décide à la rentrée suivante de passer les examens d’entrée en Master 1 Interprétation, pour gagner en crédibilité avec un statut qui soutiendrait la voix des professionnels Sourds, ainsi être mieux armée pour les prochains combats.
Tu rentres donc en Master 1, mais tu continues à être engagée auprès d’associations ? Lesquelles ?
Je valide mon M1, mais je fais une pause après les examens, tout en restant au plus près de la communauté sourde.
Je suis bénévole auprès d’associations qui œuvrent pour les personnes sourdes exclues, en situation précaire, et les personnes sourdes âgées isolées. J’ai travaillé avec Josette BOUCHEVEAU sur le projet de la création d’un EHPAD pour les personnes sourdes aussi, tout en étant en collocation avec des amis sourds.
Rachild BENELHOCINE, médiateur Sourd aux “Petits Frères des Pauvres” me conseille fortement de reprendre et terminer mes études, ce que je fais, toujours à Paris.
Je suis diplômée en 2013.
Et tu commences à travailler comme interprète ?
Je réfléchis beaucoup, je prends le temps de postuler à une structure qui correspond à mes valeurs, dans laquelle je me sentirais bien. ”
Je réfléchis aussi à peut-être travailler avec l’association « les petits frères des pauvres » sur un poste de coordinatrice, mais je n’ai pas assez de compétences en gestion de projets.
Je suis finalement partie à Lille, en cdd, travailler pour la SCOP VIA, où j’étais beaucoup sur des interventions de formations dans le paramédical, des conférences et des liaisons.
Je reste en veille de nouvelles opportunités, pour finalement poser mes valises 2 ans à Montpellier, en travaillant pour la SCOP DES’L.
Je n’ai jamais cessé d’être interprète bénévole pour les évènements de la communauté sourde partout en France en parallèle, notamment pour les universités d’été de 2LPE à Poitiers, pour qui je vais finalement travailler et ce jusqu’à aujourd’hui.
Quel message souhaites-tu transmettre aux jeunes étudiants interprètes ?
Apprenez l’histoire des Sourds, mais aussi l’histoire du métier d’interprète en langue des signes.
Un corps de métier qui ne connaît pas son histoire ne peut se projeter et peut-être en péril.
L’histoire de notre professionnalisation est relativement jeune, elle a moins de 40 ans d’existence officielle. Vous rentrez dans une profession dure, mais qui a une “utilité” publique et sociétale. ”
L’épreuve des confinements durant cette crise sanitaire l’a encore prouvé car à travers la France, les interprètes ont continué à être présents dans les hôpitaux, en milieu scolaire...bref dans les diverses strates de la société française.
Bienvenue à vous.