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Comment parler de sexualité à ses enfants et adolescents ?

Encore aujourd’hui, parler de sexualité peut être difficile, surtout quand il s’agit de ses propres enfants et adolescents. S’il est important de les informer sur les risques et les précautions à prendre, comment le faire sans les brusquer ou les mettre mal à l’aise ?
Nous avons questionné la sexologue, Manon BESTAUX, pour le savoir.

Manon BESTAUX est docteure, sexologue et chercheuse dans le service de gynécologie-obstétrique du CHU de Rouen. Elle est également l’auteure du Petit Guide du Plaisir Sexuel Féminin [lien ].

C’est quoi la sexualité ?

2 définitions de la sexualité

Pour parler de quelque chose avec quelqu’un, il faut avant tout être d’accord sur sa définition. Or, selon la docteure Manon BESTAUX, la sexualité n’en a pas qu’une. « Tout le monde n’a pas la même définition de la sexualité. Quand les gens me consultent en tant que sexologue, la première question que je pose c’est : on parle de sexualité, c’est pour faire des enfants ou ce n’est pas pour faire des enfants. C’est très important de le définir ».

Il y a donc 2 définitions de la sexualité :

  • La sexualité procréative : l’acte de faire des enfants
  • La sexualité récréative : l’acte pour le plaisir

La sexualité procréative, c’est pour se reproduire. La sexualité hors procréation, c’est un jeu. ”

Manon BESTAUX sexologue

Une question taboue ?

La sexualité reste un sujet qu’on ne peut pas aborder aussi facilement que d’autres et qui va souvent se limiter au cercle intime. Encore de nos jours, la sexualité peut être perçue comme une sorte de pollution de l’esprit, quelque chose qui vient le troubler, voire le « salir ».

D’ailleurs, Manon BESTAUX nous apprend que « les premières sensations nocturnes chez les garçons s’appellent toujours aujourd’hui des ‘pollutions nocturnes’ ». Si on a tendance à parler plus facilement de la sexualité procréative comme quelque chose de sain et de logique, ce n’est pas le cas de la sexualité récréative. « En fait, la procréation est assez facile à expliquer. Tout ce qui relève du simple plaisir, c’est une autre histoire ».

Ainsi, un sondage mené par le laboratoire Terpan pour le planning familial, auprès de 516 jeunes âgés de 12 à 25 ans, révèle que 42% d’entre eux n'ont jamais parlé de sexualité ou ne projettent pas d'en discuter avec leurs parents. Pourquoi les jeunes refusent-ils d’aborder le sujet ?
Les raisons principales soulignées sont la pudeur (62%), le jugement (20%) et la peur (14,4%). Or, le sexe est quelque chose de très naturel, c’est pourquoi « la sexualité procréative est importante, mais il faut aussi comprendre les pulsions ».

Replay - AÉSIO x La Voix du Nord "Comment parler de vie affective et de sexualité à ses enfants ?"

Pourquoi est-ce important de parler de sexualité à vos enfants et vos ados ?

Pour leur santé physique

La docteure Manon BESTAUX part du principe que chez les jeunes, « il va nécessairement se passer des choses, donc plus tôt ils comprendront ce qu’il se passe corporellement, mieux c’est ». En effet, l’entrée dans la puberté est quelque chose qu’aucun parent ne peut contrôler et tôt ou tard votre adolescent se retrouvera face à la question de sa sexualité. Lorsque ce sera le cas, autant qu’il soit bien préparé.

« Il faut comprendre son corps et la manière dont il est fait ». Pourquoi ? En ce qui concerne la santé physique, la réponse à cette question passe par la limitation des risques encourus lors de rapports sexuels.
Selon une enquête pour Santé publique France en juillet 2018, les infections sexuellement transmissibles (IST) ont connu une augmentation entre 2012 et 2016 particulièrement chez les jeunes. Toujours selon Santé publique France, le nombre d’infections à chlamydia, maladie la plus courante chez les 18-25 ans, a augmenté de 29 % entre 2017 et 2019 en France.

Un autre risque non négligeable pour les jeunes filles qui n’ont jamais, ou très peu, été briefées sur le sujet, c’est de tomber enceintes. D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près de 15 millions d’adolescents deviennent parents chaque année. L’utilisation des préservatifs est souvent vue comme désagréable, secondaire, voire optionnelle.
Manon BESTAUX souligne aussi le fait qu’il « y a une banalisation de la pilule du lendemain ». Or, cette dernière ne peut pas être considérée comme un moyen de contraception courant, pour les bonnes raisons qu’elle contient beaucoup d’hormones qui peuvent dérègler le cycle menstruel et que sa fiabilité est moindre par rapport aux autres moyens de contraception !! Elle doit donc être réservée aux situations urgentes : un oubli de pilule ou un préservatif qui craque par exemple.

Comment choisir sa contraception ?

La diversification de l’offre fait qu’aujourd’hui chaque femme, homme, ou couple, a la possibilité de choisir la contraception qui lui convient. Tour d’horizon des différentes possibilités.

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Pour la santé mentale

« Si personne ne nous a aidé à comprendre ce qu’il se passe physiquement dans notre corps, la santé mentale ne va pas bien aller » nous explique la docteure Manon BESTAUX.
En effet, comme l’arrivée de la sexualité et des changements hormonaux sont inévitables, un adolescent qui se voit changer sans rien y comprendre va se retrouver totalement perdu et dans l’incompréhension de son propre corps. « Par exemple, l’arrivée des règles chez la femme adolescente est rarement bien expliquée ». Encore aujourd’hui, on entend de nombreuses histoires d’adolescentes qui ont cru qu’elles allaient mourir en s’apercevant de l’arrivée de leurs premières règles, parce que personne ne les avait informées de ce changement ! Plus que déstabilisant, l’absence d’informations peut s’avérer traumatisante pour les jeunes qui n’ont pas les clés pour y faire face.

Se confronter à sa sexualité, éprouver du désir pour l’autre ou chercher à comprendre le fonctionnement de son propre corps est quelque chose de très naturel à l’adolescence et il ne faut pas que cela soit vécu comme choquant et honteux. « Il faut le dire, qu’il y a des pulsions ! Les adolescents vont forcément y être confrontés et ils en ont le droit donc c’est très important d’en parler ».

« Pareil pour la masturbation, c’est un acte parmi tant d’autres de la sexualité ». Il ne faut pas en faire quelque chose de sale ou de déséquilibré. « Plus vous parlerez, mieux ce sera ! »
 

À quel âge faudrait-il commencer à en parler à vos enfants et vos adolescents, et de quelle façon ?

Chacun son rythme

En fait, pour en parler il n’y a pas vraiment d’âge défini parce que tout le monde ne découvre pas sa sexualité au même moment. Ce qui est très important, c’est de respecter le rythme de chacun, même si, bien sûr, il y a des âges où votre adolescent sera plus susceptible de s’y intéresser que d’autres. La puberté, période de développement des organes et des caractères sexuels, se situe entre 9 et 16 ans pour les filles, même si l'âge moyen d'apparition des premières règles en France est de 12 ans et demi. Pour les garçons, la puberté survient entre 11-16 ans.

En ce qui concerne les préservatifs, Manon BESTAUX explique que « le problème c’est que les parents donnent un préservatif quand ils considèrent qu’il y a un risque que leur adolescent ait un rapport sexuel ». Or, il est impossible de savoir vraiment quand l’adolescent va passer à l’acte. L'âge médian du premier rapport sexuel se situe, depuis près de vingt ans, vers 17 ans pour les garçons et 17 ans et demi pour les filles en France, mais ça reste une médiane. Ainsi, « il faut toujours qu’il y ait des préservatifs à la maison ». Ça évitera à votre adolescent(e) un dilemme entre vous demander, ou se débrouiller par ses propres moyens…

Pour la docteure Manon BESTAUX, un autre conseil à donner à vos adolescents est celui de bien se connaître avant d’avoir un rapport. Tout simplement parce que la connaissance de soi permet de clarifier ce qu’on veut et surtout ce qu’on ne veut pas. Or, le consentement est, encore de nos jours, une donnée qui peut sembler floue pour de multiples jeunes. « Aujourd’hui je reçois beaucoup de filles qui me disent   ̏J’étais obligée de le faire, sinon il serait parti, il m’aurait quittée˝ ».

La virginité aussi est un sujet clé et encore difficile à aborder. Il faut parler de ce qu’est la virginité – sans bien sûr rentrer dans les détails de la propre sexualité de votre adolescent – en commençant par sa définition « Qu’est-ce que c’est que la virginité ? C’est la première pénétration ? L’hymen qui est brisé ? Ça correspond à un acte ou ça correspond à une idée ? L’idée de la virginité ». Il faut établir ce qu’est cette virginité pour éviter qu’elle devienne un tabou, ou encore pire : une sorte de secret ou de poids à se débarrasser.

L’importance de la dédramatisation

Si votre garçon arrive avec une érection sans comprendre ce que c’est, il ne faut pas que vous criiez « C’est terrible et honteux ! » sous peine de le traumatiser ou le faire se sentir très mal pour quelque chose qui est au final totalement naturel et dont il n’est pas responsable. « Il faudrait banaliser plein de choses, il faut dédramatiser. Quoi qu’il se passe, ce n’est pas si grave ».

« Par exemple, ces fameuses pollutions nocturnes, il faut en parler, parce que, qui change les draps ? Souvent, ce sont les parents ». Il ne faut pas ne rien dire, et le cacher sous peine de renforcer le sentiment de honte de l’enfant. Il y a un phénomène qui se passe, il entre dans la puberté et a besoin d’être guidé. « Donc il faut en parler ».
Toutefois, il ne faut pas non plus mettre les pieds dans le plat, lui en parler directement et crûment, parce que vous aboutirez bien évidemment à l’effet contraire. Vous risquez de l’embarrasser, de le brusquer et d’en faire le sujet tabou par excellence. La limite est donc mince : la solution pour ne pas la franchir se trouve dans la dédramatisation de l’acte.

« Je suis beaucoup dans les métaphores. Il faut que les parents trouvent la métaphore. Par exemple, plutôt que de parler de verge, vous pouvez parler d’instrument de musique   ̏Tu sais tu as un instrument de musique donc pour l’instant tu joues, tu répètes des gammes et peut-être qu’à un moment tu auras envie de jouer un duo, d’où les préservatifs˝ ».

Sinon, vous pouvez aussi contourner le problème pour ne pas l’embarrasser. « Une technique pour donner un préservatif à votre adolescent peut simplement être de lui dire, par exemple s’il sort avec des amis dans une soirée :   ̏Ce n’est pas pour toi, c’est pour ta copine ou ton copain, si tu la vois partir avec un garçon ou avec une fille, donne-lui parce que c’est très important de se protéger˝ ».

Attention à l’interdit !

 « Attention à l’interdit, pour tout d’ailleurs ! Si vous ne voulez pas qu’ils mangent du chocolat, ils feront tout pour en manger » explique Manon BESTAUX. « Les enfants sont très rusés et tout ce qui est interdit à la maison, ils iront le chercher autrement : chez le copain, chez celui qui a un téléphone, ailleurs… ».
C’est pourquoi, même si le fait de mettre de nombreux contrôles parentaux et de limiter le contact avec les écrans n’est pas une mauvaise stratégie en soi, cela ne garantit pas pour autant le fait que votre enfant ou votre adolescent ne se trouve pas, un jour ou l’autre, face à des images qui pourront mettre à mal sa vision de la sexualité.

Ces images peuvent être montrées par un ami ou un cousin plus âgé, mais aussi être amenées sous la forme de pop-up (des fenêtres secondaires qui s’affichent en superposition avec la fenêtre de navigation). « C’est pourquoi il vaut mieux en parler avant, dire   ̏si tu vois des trucs qui te choquent, n’hésite pas à m’en parler˝. Pour moi, il faut dire aux enfants que la société va les agresser pour les préparer.   ̏Je ne veux pas parler de ta sexualité, je n’ai pas envie d’en parler, mais il faut tout de même qu’on fasse le point sur certaines choses que tu vas vivre ».

De même, il est important de répondre aux questions que peut poser votre enfant ou votre adolescent en matière de sexualité, tant qu’il ne s’agit pas bien sûr de son intimité profonde ou de la vôtre.
Refuser de parler d’un sujet, c’est aussi prendre le risque qu’il aille chercher une réponse auprès de sources moins fiables et plus discutables. « Si vous ne savez pas répondre aux questions parce que vous n’avez pas la réponse ou que ces questions vous perturbent – vous avez totalement le droit d’être perturbé – alors dites   ̏Ta question est intéressante, je n’ai pas le temps mais je te promets d’y répondre plus tard˝ et vous allez le faire. Vous vous engagez à répondre ».

Quels sont les limites à ne pas dépasser ?

« Tout d’abord, votre propre sexualité et la sienne. Nos parents ne sont pas des êtres sexués et nos enfants non plus ». Il faut donner des conseils, mais pas sur l’acte et ses détails. « Parfois je vois des femmes qui viennent me voir et qui ont une trentaine d’années et qui me disent qu’elles en ont déjà parlé à leur maman. Je leur conseille d’arrêter, car quand il y a un problème dans le couple en ce qui concerne l’acte, c’est au partenaire à qui il faut en parler. Par exemple, s’il s’agit d’une douleur pendant l’acte, ce n’est pas à vous d’apporter une solution, mais au partenaire ».
Vous ne devez pas vous montrer invasif dans la sexualité de votre adolescent, même si vous avez dans l’idée de le protéger. Oui, vous pouvez le conseiller et l’encadrer dans sa vision de la sexualité pour qu’elle soit la plus saine possible, sans tabou spécifique, répondre à toutes ses questions et le guider sur des notions fondamentales comme le consentement, mais ce qui résulte de l’acte relève de son intimité.

« Les couples ne parlent pas ensemble et c’est un gros problème, qui découle d’un autre d’ailleurs : on croit que comme nous aimons notre partenaire, ça va bien se passer et que si ça se passe mal, c’est que je ne l’aime pas, ou qu’il ne m’aime pas. Il y a une confusion entre amour et sexe ».

C’est important d’apprendre à vos adolescents à faire la distinction, ne serait-ce que pour éviter certains abus du type "Si tu ne couches pas avec moi, c’est que tu ne m’aimes pas", ou certaines psychoses. 

Quels sont les 4 conseils qu’il faut absolument retenir ?

Selon la docteure Manon BESTAUX, les 4 conseils qu’il faut retenir de cet article sont :

  • Ne jamais faire la politique de l’autruche ;
  • Faire sentir à vos enfants et à vos ados que vous n’avez pas de jugement et que vous êtes une source d’information fiable ;
  • "La sexualité est une chose, mais le plus important c’est l’amour". Oui, s’épanouir dans sa sexualité c’est très important, mais il faut veiller à ce que votre adolescent ne confonde pas le sexe et l’amour. Ce sont deux choses fondamentalement différentes. Connaître son corps, c’est bien, mais il ne faut pas négliger ses sentiments ;  
  • Il faut insister sur l’importance très forte du consentement : vous n’avez pas besoin de l’autre, vous avez simplement envie de partager.

« En fait, il faut surtout veiller à répondre aux questions. Tout est bon pour parler de sexualité simplement » - Dr Manon BESTAUX

Rédigé par : Clotilde CHEVALIER