Le rire : un outil de management et d'intelligence collective au travail
Le rire pour développer l’intelligence collective ?
Définir le rire, c’est un peu comme s’évertuer à qualifier le bonheur. Philosophes, scientifiques, psychologues et sociologues s’y sont penchés. L’étude du rire et de ces effets porte même un nom : la gélotologie (du grec gelos : le rire" et logos : "parole, discours").
Restons sur l’humour positif, celui qui exclut moquerie, méchanceté et autres dérives blessantes. Il est associé davantage à un état joyeux qu’à un esprit trop blagueur. D’après la littérature scientifique et psychosociale1, l’humour positif au travail, serait bien une forme d’intelligence, qui agirait favorablement sur la créativité, la socialisation, les liens internes, les relations et le moral.
Le rire comme outil de management
Les salariés rieurs et riants amélioreraient leurs performances professionnelles et leur satisfaction. Bien distillée, leur bonne humeur insufflerait une meilleure cohésion de groupe, diminuerait l'épuisement professionnel et le stress. Selon l’étude menée par l’Université américaine de Stanford auprès de 1,4 millions de personnes de 166 pays, le sens de l’humour orienterait positivement les choix de recrutement pour 98% des entreprises interrogées.
Finalement, le rire positif n’est que du bonheur qui, en plus, est contagieux. Le meilleur des remèdes !
Côté management, l’usage de l’humour consoliderait les liens, serait vecteur de nouvelles idées et encouragerait les équipes à faire preuve de créativité face à des problèmes complexes.
Lâchez prise avec le yoga du rire et la rigologie
Cette "soft skill" (compétence comportementale) s’ajoutant aux "hard kills" (compétences techniques) rendrait le rôle du manager plus persuasif. Correctement dosé et approprié, l’humour du manager faciliterait la transmission et la mémorisation d’informations et réduirait la perception de menace en cas de changement organisationnel.
C’est bien ce que l’on peut nommer de l’intelligence émotionnelle, non ?!
Le nombre d’épisodes émotionnels vécus par les collaborateurs peut être un indicateur pertinent pour apprécier la satisfaction au travail ou, à l’inverse, leur malaise. ”
Séances de rigologie et autres ateliers au sein des entreprises
Les pratiques managériales changent. Alors, quand la dynamique entre collègues est enraillée, les entreprises s’appuient de plus en plus souvent sur des professionnels pour des séances de rigologie, de yoga du rire ou des ateliers théâtraux.
Véronic Joly, comédienne à la Ligue Majeure d’improvisation, clown hospitalier pour l’association Le Rire médecin, intervient souvent auprès d’équipes mal soudées : « Rire en groupe pose une émotion forte partagée par tous. Les participants créent du commun, un souvenir positif entre eux qui consolide les liens ». Récemment, sa troupe s’est par exemple produite à la demande d’un grand groupe de la chimie, pour dédramatiser un futur emménagement peu enthousiasmant pour les salariés.
Le rire est quelque chose de mécanique dans quelque chose de vivant. ”
Rire : un phénomène neurologique et physique
Le mécanisme du rire s’active dans l’écrin magique de notre cerveau quand les deux hémisphères entrent en alchimie. L’hypothalamus et les différents cortex (préfrontal, frontal et insulaire) interagissent pour analyser l’éventualité du comique de la situation, le déclenchement du rire ou au contraire son inhibition. Rire produit de la dopamine et de l’endorphine, appelées également "hormones du bonheur". Libérées, elles procurent une sensation de bien-être et atténuent la sensibilité à la douleur.
C’est une des raisons pour lesquelles les clowns interviennent dans les hôpitaux. L’acte physique lié au rire actionne aussi de nombreux muscles du corps et accélère la respiration. Des phénomènes bénéfiques pour notre organisme, favorisant notamment l’oxygénation du sang et abaissant la tension artérielle. Ou encore, stimulant les globules blancs nécessaires à notre immunité. Rire 10 à 15 minutes par jour serait donc bon pour notre santé !
Le rire en déclin ?
Nouveau-né, nous sourions dès l’âge de 3 à 5 semaines pour intégrer le rire autour du quatrième ou cinquième mois de vie.
À 4 ans, un enfant rit en moyenne 300 fois par jour. Mais passée la vingtaine, on constate que le rire se fait plus rare. Adulte, nous ne rions, en moyenne, que 20 fois par jour. Faut-il en déduire que l’entrée dans le monde du travail et les années qui s’ensuivent sont de vrais rabat-joie ? C’est apparemment le cas : vers 70 ans, une fois à la retraite, la fréquence des rires augmente à nouveau.
Il est peut-être temps de prendre au sérieux notre capacité à rire tout au long de notre vie, pour notre bien-être et celui des autres, sans contredire Gargantua sous la plume de Rabelais : « Le rire est le propre de l’homme ». Alors, action !
Ce sont principalement les incongruités ou les absurdités d’une situation qui déclenchent le rire. Mais il peut revêtir des nuances multiples, comme l’atteste la richesse des expressions de notre langue : fou rire, mort de rire, pince-sans-rire, rire jaune, rire au nez… Quant au rire positif, c’est une question de bons sens et surtout de bienveillance.
Pour Véronic Joly, professionnelle du rire et du faire rire, « on rit avec l’autre et non de l’autre ». Comme pour toute émotion, le rire est souvent question d’équilibre.
2 questions à Jean-Baptiste Sintès, comédien, metteur en scène, coach formateur auprès des entreprises et des collaborateurs et collaboratrices grâce à l’Art vivant. Co-fondateur de ThéâtriCité.
L’humour est un des outils qu’il faut savoir utiliser avec juste mesure : avant de l’utiliser il faut bien connaître son environnement. Observer, être à l’écoute des sensibilités de chacun, ce qui blesse ou au contraire fait rire, ce que j’appelle les « déclencheurs » propres à chacun. ”
Pourquoi l’humour peut-il se révéler efficace pour manager des équipes ?
Parce qu’il permet un décalage : en faisant un jeu de mots ou en se tournant soi-même en ridicule (auto-dérision), on change le prisme habituel des choses, ce qui permet une vision différente et donc plus créative. Un manager qui arrive à se tourner en dérision est capable de se mettre à la hauteur de son équipe en acceptant lui aussi de ne pas être "parfait".
Cela renvoie également à notre rapport à l’erreur : plutôt que de sacraliser l’échec, l’humour permet de dédramatiser les changements, d’apporter un climat de confiance, des échanges sereins et d’envisager ensemble les solutions pour rebondir et sortir par le sourire d’une situation qui nous aurait plutôt donner envie de pleurer. Au travail, comme dans une pièce de théâtre, nous avons un rôle à jouer selon notre degré hiérarchique.
Les collaborateurs, comme les spectateurs, poursuivent un temps commun. Ils attendent à la fois que le manager remplisse son rôle de manager mais qu’il se passe aussi quelque chose d’exceptionnel pour ne pas se lasser : un moment de rire, oser paraitre ridicule devant les autres, c’est ouvrir une partie de soi et nous relier ensemble en tant qu’êtres humains imparfaits.
Quelles sont les limites de l’humour en entreprise ?
Trop souvent, les personnes qui dosent mal l’humour manquent d’écoute : elles n’ont pas été assez vigilantes à ce qui allait faire rire ce type de public par rapport à un autre. Il faut s’exercer à rire avec les autres et non rire des autres, sinon l’humour peut vite tomber dans la moquerie. Rire avec les autres, c’est trouver ces fameux moments de complicité qui sont des expériences d’autant plus fédératrices qu’elles sont décalées et sortent de l’ordinaire.
La meilleure stratégie pour ne pas créer de malentendus reste de communiquer. Être drôle ne nous appartient pas : c’est le public qui juge et non l’acteur !