Economie sociale et solidaire : partage et mutualisme
Introduite par Emmanuel ROUX (alors DG du Groupe AÉSIO) cette matinée a été riche en réflexion. Plus de 150 acteurs de l'économie sociale solidaire, associations, entrepreneurs, etc. sont venues assister aux débats de ces rencontres dont l’ambition était d’interroger la notion d’économie collaborative et son impact sur le mutualisme et notre système de santé.
— La première table ronde a permis de faire émerger les points de convergence entre les secteurs du mutualisme et de l'économie collaborative. Le débat était animé par Bruno Huss, alors Directeur général de Solimut Mutuelles de France et Directeur général adjoint AÉSIO Union.
Étaient présents pour témoigner :
- Nadine RICHEZ-BATTESTI, Professeur d’économie à Marseille,
- Thierry PECH, Directeur général de la Fondation Terra Nova,
- Arthur DE GRAVE, Membre du collectif OuiShare ; porte-parole de La Ruche Qui Dit Oui !
Au cours de cet échange, les intervenants sont revenus sur la notion d’économie du partage et ont rappelé en quoi cette dernière est en résonance avec le modèle mutualiste. Nos speakers ont débattu de l’impact de l’économie du partage sur la société française, sur les relations sociales ainsi que sur le système mutualiste.
L’économie collaborative, un concept aux multiples facettes
Dès le début du débat, Arthur DE GRAVE a rappelé que le terme d’ « économie collaborative n’a pas de définition unique ». Cette notion est un terme qui regroupe aussi bien des initiatives liées à la production, au financement, à la consommation que des modes d’entrepreneuriat différentes natures.
N. Richez-Battesti : « l’#EcoCollab est un système apparemment horizontal, qui met en liens producteurs et consommateurs »
Ces nouvelles formes d’économie ont pour autre particularité d’interroger la « relation patron/salarié traditionnelle » et le concept d'activité de l’entreprise. Selon Thierry PECH, elles remettent en cause un système économique qui prévalait depuis la Révolution et qui est « en phase avec les aspirations de notre société » mais plus avec le droit français du travail.
@thierpech : « Le salariat tel qu’on l’a connu, avec un contrat de subordination, ne rend plus compte de ce qui se passe. »
L’économie collaborative à distinguer de l’économie sociale et solidaire (ESS)
Selon Nadine RICHEZ-BATTESTI, il faut distinguer « économie collaborative » et « économie sociale et solidaire ».
L’économie dite "collaborative", au travers d’initiatives entrepreneuriales telles qu’Uber ou AirBnb, peut donner lieu à un capitalisme renouvelé et à de nouvelles formes d’exploitations des travailleurs. Arthur DE GRAVE souligne que « à la différence de l’ESS, l’économie collaborative n’a pas de but ou de finalité forcément morale ».
Les multiples aventures des entrepreneurs de l’économie collaborative donnent lieu à la création de millions d’emplois, souvent non-salariés, à l'exemple des associations. Les travailleurs issus du développement des plates-formes internet sont souvent des indépendants, des autoentrepreneurs. Ces situations donnent parfois lieu à problématiques sociales délicates, où les travailleurs non-salariés y sont représentés comme isolés et non protégés.
Comment l'ESS contribue-t-elle au développement de l'emploi dans les territoires ?
Au contraire, selon Nadine RICHEZ-BATTESTI, les modèles d’entrepreneuriat correspondant à l’économie sociale et solidaire sont, eux, au profit du salariat et protecteurs des bénéfices induits.
N. Richez-Battesti : « Au cœur de l’ESS, il y a un projet d’émancipation, d’entreprise partagée par le bas »
Repenser le droit du travail comme un "droit du travailleur" et non du salarié
Aujourd’hui, le modèle salarial lui-même est attaqué « par le haut et par le bas » (Nadine RICHEZ-BATTESTI) par la montée en puissance du « travail indépendant ».
À ce titre, on trouve deux statuts de travailleurs indépendants : d’une part les jeunes diplômés, qualifiés qui rejettent le salariat et qui veulent couper avec le lien de subordination qu’il induit. D’autre part, le « travailleur des plates-formes » qui lui, est « indépendant formellement, mais dont l'activité reste subordonnée par d’autres moyens et ne bénéficie pas de protection sociale ».
Ainsi, selon Thierry PECH, les « expériences de l’économie collaborative remettent en question la société salariale » [rapport Terra Nova].
@thierpech : « Il faut repenser un droit du travail qui ne soit pas un droit du salarié, mais un droit du travailleur »
La nécessité d’engager une réflexion globale sur le partage de la valeur
Plus globalement, il serait crucial de repenser notre économie au prisme du partage de la valeur, pour qu’un maximum de personnes puissent en bénéficier. Ainsi, l’économie collaborative permet l’émergence de nouvelles expériences entrepreneuriales et sociales qui bénéficient à toute la chaîne de valeur, de l’entreprise aux usagers/adhérents/clients.
Il est donc contre-productif d’opposer « utilité sociale et création de valeur » (Thierry PECH). Il est crucial de repenser l’entreprise comme un lieu et un domaine créateur de valeur tant marchande que non marchande.
Comment et pourquoi favoriser les investissements à impact social ?
@thierpech : « Malgré la persistance d’#inégalités, l’#EcoCollab fait aussi baisser les prix pour le consommateur »
Selon le directeur de Terra Nova, le marché a des vertus telles que la démocratisation via une baisse des prix pour le consommateur et la remise en cause de l’ordre établi qui empêche une forme de « cartellisation de l’offre ». La facilitation de la mise en concurrence serait une manière efficace de répondre à des problèmes posés et de créer une valeur profitable, sur le long terme, à tous.
Création et partage de valeur, mise en commun, proximité…
L’économie collaborative et le mutualisme partagent le même ADN.
Au cours des débats, les intervenants ont mis en lumière de nombreux points de convergence entre l’économie collaborative et le mutualisme.
@thierpech : « L’économie collaborative c’est le #mutualisme sans les mutuelles... un "multitualisme" »
Pourquoi l’ESS est-elle appelée « tiers secteur » ?
Une finance particulière
On note aujourd’hui l’apparition de certaines start-ups de l’économie collaborative qui s’inspirent ouvertement du modèle mutualiste lors de leur création, on parle de « coopérativisme des plates-formes » (Arthur DE GRAVE). Ces essais entrepreneuriaux ont pour principe de donner des parts de l’entreprise aux travailleurs, dans la ligne droite de la loi de l'économie sociale ou de l'agrément entreprise solidaire d'utilité sociale (dit ESUS).
La Ruche Qui Dit Oui ! en est un bon exemple, dans la mesure où son capital est ouvert aux travailleurs non-salariés.
@ArthDeG : « De plus en plus d’entreprises se posent la question de la répartition de la lucrativité »
Que signifient lucrativité limitée, utilité sociale et innovation sociale
L'importance de la proximité locale
Par ailleurs, « l’économie collaborative promeut des valeurs telles que le partage, la participation à la vie de la communauté, pratiques inhérentes à l’un des acteurs majeurs de la protection sociale en France qu’est le mutualisme » (N. RICHEZ-BATTESTI). Que ce soit dans l’économie collaborative ou le mutualisme, il faut développer l'importance toute particulière qui est déjà donnée à la place des usagers/adhérents. L’important est de créer et « conserver des relations de proximité face à la montée de la multitude » (T. PECH).
N. Richez-Battesti : « Le #mutualisme, comme l’économie du partage, permettent de recréer des liens de proximité »
De plus, on retrouve dans le mutualisme et l’économie collaborative, une alternative à la propriété privée classique et exclusive : les membres de la communauté mettent en commun une ressource à laquelle ils accèdent et contribuent selon différents droits distribués entre eux.
Mais des divergences demeurent
La première différence est cruciale : si l’économie collaborative est marchande, le mutualisme ne l’est pas ! Pour Nadine RICHEZ-BATTESTI « le nouveau modèle de l’économie collaborative reste cantonnée à des régulations marchandes, contrairement au mutualisme ». Ainsi, certains avancent que l’économie collaborative contribue à l’élargissement de la sphère marchande. A l’image d’AirBn'B qui monnaie le fait de recevoir chez soi.
Autre divergence, l’engagement de l’usager-adhérent. En effet, on trouve dans les principes mutualistes une relation de fidélité et d’engagement via l’adhésion annuelle que l’on ne retrouve pas au sein du mouvement collaboratif. « ll y a une absence de fidélité dans cette économie » (T. PECH).
L’économie collaborative : une source d’inspiration pour le mutualisme
Pour que le mutualisme puisse grandir et s’adapter au mieux à toutes les mutations de notre société, le conseil serait de s'inspirer de l’économie collaborative :
- Sur la place des usagers :
Le mutualisme doit s’enrichir de la pertinence de la communication et de l'information adoptée par l’économie collaborative avec ses consommateurs. L’économie collaborative a su se servir des réseaux sociaux, d’applications pour dialoguer avec ses usagers, lui permettant d’être quotidiennement à leur écoute.
- Sur la co-construction avec les usagers :
Les intervenants encouragent également la sphère mutualiste à réinventer la conception des offres et à s’assurer de la qualité du service rendu en s’inspirant des usages de l’économie collaborative.
Selon eux, le modèle mutualiste doit revoir son rapport à l’adhérent et au public pour l’intégrer dans le processus de construction de l’offre et du service rendu. Cette construction coopérative avec l’adhérent passe, là encore, par l’utilisation des nouvelles technologies.
@thierpech : « L’#EcoCollab est une économie de la demande, de l’usager : le #mutualisme peut s’en inspirer »
- Sur l’importance de la confiance créée avec les usagers :
L’enjeu de la « confiance créée » est en effet au cœur de la reconnaissance de l’économie collaborative. Le mutualisme devrait s’en inspirer pour « mettre de l’ordre dans l’organisation mutualiste et montrer à quel projet politique cela répond exactement » (Arthur DE GRAVE). L’objectif étant de rendre plus claires, plus lisibles les richesses du projet mutualiste, profondément redistributeur, collaboratif et démocratique.
C’est la conclusion que Serge JACQUET, Président de Solimut Mutuelles de France et Grand Témoin du mutualisme, a pu tirer des échanges : « Les formes d’entreprendre mutualistes sont certes anciennes mais profondément modernes dans leur conception. Elles portent les contours d’une économie réellement partagée, au bénéfice du grand public ».
Qu'est ce que les CRESS ?
Une Chambre régionale d'économie sociale et solidaire (CRESS) est une instance représentative de l'économie sociale et solidaire. De par la loi du 31 juillet 2014, une Chambre régionale réunie des acteurs institutionnels qui sont le porte-voix des entreprises de l’ESS en régions. Les CRESS ont pour mission de représenter l'économie durable et sociale sur le territoire régional auprès des pouvoirs publics (État et collectivités territoriales), de promouvoir le concept d'économie sociale dans l'opinion publique (médias, Éducation nationale, etc.) et d'en assurer le développement. Le Conseil national des chambres régionales de l'économie sociale, regroupe l'ensemble des structures régionales, au niveau national.
« La CRESS est un mouvement d’entreprises réunissant les associations, les coopératives, les fondations, les mutuelles, les entreprises sociales et les syndicats d’employeurs. Elle apporte des réponses aux besoins des entreprises de l'ESS via ses différents services et missions.» (Denis PHILIPPE, Président CRESS PACA]
Témoignages d'acteurs engagés dans l’ESS, aux côtés d’AÉSIO mutuelle